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dont il l’avait retirée, soit aux projets de divorce dont il semblait appréhender le retour.

Mistress Marsden, — insignifiante et douce créature, — nonobstant qu’elle fût, en tout point, le fidèle écho de son mari, — - n’avait pu se défendre d’une vive affection pour Eleanor. Leurs enfans l’adoraient. Il est vrai qu’en mémoire de Frédérick et de Clephane, elle leur était une seconde mère, tout aussi dévouée, mais bien autrement intelligente que mistress Marsden elle-même. Par malheur pour eux, ses forces n’étaient plus au niveau des soins qu’elle voulait prodiguer à leur éducation, à leur santé. On fut quelque temps à s’en apercevoir aucun mal apparent n’appelait sur Eleanor l’attention distraite de ses proches. Elle changeait cependant ; elle s’affaiblissait peu à peu, et parfois elle se prenait à méditer cette locution particulière à l’idiome anglais : — Mourir de coeur-brisé ! — mourir comme la fleur dont la tige est atteinte, mourir après quelque délai d’une sorte de vie sans sève, se flétrir, s’effeuiller, sécher sur pied.

Les médecins, consultés, ne trouvèrent rien à ordonner de mieux que des distractions et le changement d’air. Ils disaient que rarement ils avaient eu à constater une prostration aussi complète, sans aucun autre symptôme de maladie. Ils ajoutaient que les Anglais nés dans l’Inde sont plus spécialement sujets à ces langueurs énervantes, à ces atonies d’une constitution faible et délicate. Cette maladie, qui n’était pas une maladie, impatientait Godfrey, bien plus encore qu’elle ne l’apitoyait. Pourquoi Eleanor ne voulait-elle pas être heureuse ? qui l’en empêchait ? et quel lot que le sien, pour une personne plus sensée ? Cependant il se souvint des soins assidus qu’elle donnait à ses enfans malades, des longues nuits qu’elle veillait à leur chevet, et il décida que la famille irait passer deux mois en Suisse.

Eleanor partit sans regrets ; il lui sembla même, en quittant l’île de Wight, où les Marsden résidaient, que ce serait un soulagement pour elle de ne plus voir éternellement cette mer sans repos, si monotone dans ses régulières alternatives d’ombre et d’éclat, de tempête et de sérénité ; mais, au sein des Alpes, sa santé ne s’améliora point. Dès les premiers jours, elle se sentit plus fatiguée que jamais. Dans une promenade sur le lac Léman, elle prit froid, faute des précautions nécessaires, et une légère inflammation de poitrine la força de rester à Genève, sous la garde de son affectueuse belle-soeur, tandis que Godfrey, toujours actif, allait et venait de tous côtés.

Elle était un soir étendue sur un sofa, tout auprès d’une croisée sous laquelle le Rhône roulait ses flots d’un bleu vif, lorsqu’un voyageur se fit annoncer à elle. C’était un honnête Écossais, vivant ordinairement à Penrhyn-Castle, dans les termes d’une intimité un peu subalterne. On eût pu le croire chargé par sir Stephen de quelque mission nécessairement