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yeux grands ouverts de lady Macfarren, le sourire triomphant de Tib le disaient de reste. Le duc aussi venait de tout comprendre, et sa présence d’esprit allait dissiper l’embarras de tous.

— Margaret, calmez-vous, dit-il à sa sœur ; je vous dirai plus tard comment il s’est fait que, par une délicatesse à mon avis superflue, M. Stuart s’est imposé de vivre en étranger parmi des gens tout disposés à l’accueillir sous son véritable nom. Puisque vous voilà, vous aurez sa place dans ma voiture, et il voudra bien revenir à cheval avec moi jusqu’à Lanark-Lodge. Nous nous retrouverons plus tard, les uns et les autres, pour dîner.

Les explications étaient faciles entre le duc et David. Elles devaient l’être beaucoup moins entre David et sir Stephen ; mais le duc, indulgent et spirituel comme toujours, se chargea de cette mission délicate. Malheureusement il avait été prévenu. Lady Macfarren, montant elle-même sur le siège du briska qu’elle devait partager avec Tib, avait poussé si vigoureusement son attelage déjà fort vif, qu’elle était arrivée à Penrhyn-Castle un bon quart d’heure avant la calèche de la duchesse. Et ce quart d’heure n’avait pas été perdu : « Pour le coup, se disait-elle, je tiens mon divorce. »

Elle ne le tenait cependant pas encore.

Au lieu de lui savoir gré de l’empressement avec lequel elle venait lui apprendre que sa femme avait trahi sa confiance, ce frère malavisé s’en trouva très offensé. Il ne convenait pas à son orgueil d’accepter facilement une insinuation pareille. Avec une imprécation des plus énergiques, il lui demanda si elle croyait bien probable qu’une femme mariée à un homme comme lui s’allât amouracher du premier venu ; mais, quand il l’eut ainsi rebutée et malmenée, sir Stephen n’en demeura pas moins fort ébranlé dans ses convictions. Il repassa dans sa mémoire toutes les circonstances qui accusaient Eleanor. Il reprit la lettre qu’elle lui avait écrite pour lui annoncer l’arrivée du prétendu Lindsay. Dans cette lettre, fort courte d’ailleurs, il constata une rature significative. Eleanor avait d’abord écrit ; M. Lindsay, envoyé par M. Stuart… Puis, surchargeant cette première phrase, elle l’avait ainsi remplacée : Un M. Lindsay, de Quebec, est ici chargé des affaires… Puis enfin, s’arrêtant à une troisième formule : M. Stuart est représenté par M. Lindsay, avait-elle mis, dans son désir d’altérer la vérité aussi peu que possible.

Devant cette preuve matérielle d’une fausseté que les venimeuses conjectures de lady Macfarren aggravaient encore à ses yeux, la colère de sir Stephen grandissait de seconde en seconde. Au moment où Eleanor entra chez lui, il venait de froisser dans ses mains le papier menteur, souhaitant au fond de son ame tenir ainsi celle qui avait tracé ces caractères maudits.

Quand il la vit entrer, un sourire aux lèvres, son chapeau dénoué,