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— Cela suffit… A merveille !… J’ai assez de cet homme et de ces explications… Allez à vos affaires, Eleanor… Je vais aux miennes.

Saisissant à ces mots ses engins de pêche, le maître de Penrhyn-Castle quitta la chambre à grands pas. Eleanor, accoudée à une fenêtre, le suivit des yeux ; elle le vit traverser l’enclos et arriver à l’entrée d’un petit bosquet qui terminait l’avenue. Le fils aîné de Bridget, un bel enfant de dix à douze ans, semblait y attendre quelqu’un. Sir Stephen lui remit en passant sa ligne et le panier dont il était embarrassé. En même temps il lui passait amicalement la main sur la tête, et tous deux disparurent ensemble sous les arbres.

Dunleath ne resta pas long-temps à vendre. La jolie duchesse de Lanark, entrant un matin dans la chambre d’Eleanor, lui montra une lettre de lady Margaret Fordyce, sa belle-soeur, qui lui annonçait l’achat de cette propriété. C’était un cadeau de la duchesse douairière, auprès de laquelle lady Margaret, profitant des libertés du veuvage, s’était établie à Naples, et dont elle soignait assidûment la vieillesse. Il fut convenu que, dans la quinzaine, on essaierait une partie de ce côté. Lady Peebles, l’ex-propriétaire, servirait de guide, et on examinerait à fond l’acquisition de lady Margaret. M. Lindsay, dont la duchesse de Lanark appréciait la causerie spirituelle, et aux dépens de qui elle exerçait volontiers l’innocente coquetterie dont le ciel l’avait pourvue, essaya vainement d’échapper à cette excursion qu’il prévoyait lui devoir être pénible sous plus d’un rapport. Il fallut céder, et, une fois dans la calèche de la duchesse, faire aussi bonne contenance que possible. Sir Stephen, retenu par quelques soins agricoles, n’était pas de la partie.

Pour décrire longuement la vieille demeure des Stuarts et leurs classiques jardins, il faudrait s’assurer qu’on éveillerait chez le lecteur au moins une faible portion des sentimens qui agitèrent David lorsqu’il se retrouva dans ces allées familières, sous ces bocages connus, le long de ces murs dont chaque pierre lui gardait un souvenir d’autrefois.

Les fleurs surtout parlaient haut à sa mémoire. En entrant dans la serre chaude, il reconnut une corette du Japon traînant le long des lambris ses longues branches chargées de jaunes efflorescences. Il y reconnut les « filles » de ces roses que sa pauvre mère mariait et greffait avec tant de soins, et qui, d’été en été, livrées à des mains moins habiles, n’avaient plus varié d’aspect et de couleur. Les myrtes étaient restés debout. Au dehors couraient les longs festons de cette fleur espagnole, la granadilla, qu’on appelle aussi fleur de la passion. Autour des degrés qu’on avait descendus en entrant au jardin, les mêmes petites pervenches, les mêmes humbles violettes fleurissaient, aussi serrées