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l’amour de cette ravissante créature ? ou bien l’aimait-elle et ne l’aimait-il point ? De façon ou d’autre, quelle misère ! quelle pitié pour lui, si, la possédant, il n’avait pas su se l’attacher ! pour elle, si, dévouée à lui, elle n’en obtenait aucun retour !…

Voyons, reprit Eleanor, ne me regardez pas avec ces yeux questionneurs… Je ne suis pas, j’en conviens, très parfaitement heureuse ; mais de bien meilleures femmes, j’en conviens, ont eu de pires destins que celui dont j’ai semblé me plaindre. Si j’en dis autant aujourd’hui sur ce sujet, c’est pour n’avoir plus à y revenir avec vous,… promettez-le-moi.

— Je vous promets, répliqua gravement David Stuart, que vous ne m’entendrez jamais vous parler de sir Stephen… D’ailleurs, ajouta-t-il avec amertume, les droits que j’avais, je les ai perdus… Me faire illusion là-dessus serait échapper en partie au châtiment que j’ai mérité…

Le même jour, Eleanor écrivit à son mari dans les termes mêmes où le voulait David Stuart, et la réponse de sir Stephen ne se fit pas attendre. Elle était telle que David l’avait prévue, telle que la souhaitait Eleanor. Le maître de Penrhyn-Castle demandait instamment que M. Lindsay, » s’il pouvait disposer de quelques semaines, voulût bien les passer au château. Il épargnerait ainsi à sir Stephen l’ennui de repartir pour Londres aussitôt après son retour chez lui. Dans l’intervalle, il écrirait à son homme d’affaires, à Édimbourg, de venir, de son côté, prendre part aux conférences nécessitées par la restitution inespérée qui enrichissait Eleanor. Sir Stephen ajoutait que sa femme était libre désormais de rétablir entre les mains de Godfrey Marsden la somme à lui léguée par sir John Raymond, et dont l’honorable capitaine s’était dessaisi quand il avait vu sa mère dans le besoin. À la mort de lady Raymond, Eleanor avait timidement demandé que tout ce qu’elle laissait passât à son frère, et elle n’avait pu l’obtenir. C’était là un de ses griefs cachés ; la tardive générosité de sir Stephen ne l’effaça pas de son cœur. Elle le trouva mesquin dans cette circonstance, presque autant qu’il l’avait été lors de son refus. La gaieté triomphante, l’enivrement joyeux avec lequel il parlait de l’accroissement de richesses qui lui survenait ainsi tout à coup déplut aussi à Eleanor. — En vérité, se disait-elle, comment comprendre que cet homme, chez qui la richesse n’a pas éteint l’amour de l’or, ait songé à m’épouser, moi, pauvre déshéritée ! — Cet étonnement, avons-nous besoin de le dire ? n’était qu’un regret indirect et n’osant s’avouer.

L’absence de sir Stephen laissait à ces deux êtres, si long-temps séparés, réunis maintenant après tant de traverses, le péril de longues heures consumées en doux souvenirs. D’ailleurs, chaque jour de retard aggravait la situation. Lady Macfarren, Tabitha, comtesse de