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de David Stuart, — vint tout ému, pâle, les yeux brillans d’un feu singulier, lui apporter une lettre arrivant d’Amérique, et qu’un étranger, disait-il, lui avait remise, un moment auparavant, pour lady Penrhyn.

Au premier coup d’œil jeté sur l’adresse, Eleanor pâlit et se sentit sur le point de se trouver mal.

Cette adresse était de la main même de David Stuart.


IV

La lettre expliquait en peu de mots comment, arrêté sur le bord même de l’abîme, où il allait achever une vie déshonorée, par les paroles d’un ami, d’un prêtre vénéré, David était parti pour l’Amérique, recommandé à un négociant du pays, mais sous un nom supposé. Là, pendant huit années consécutives, il s’était voué au commerce lucratif, mais rude et périlleux, des trafiquans en pelleteries, résolu, — dût-il périr à la tâche, — à réparer, en partie du moins, le tort qu’il avait fait à sa pupille bien-aimée. Bien que ses gains, considérables en eux-mêmes, fussent accrus par les efforts de l’épargne la plus sévère, sa vie entière n’eût pas suffi à éteindre la dixième partie de son énorme dette ; mais un hasard merveilleux lui avait fait rencontrer, dans une des stations les plus reculées du Canada, un des associés de la maison de banque à la faillite de laquelle se rattachaient sa ruine et son déshonneur. Cet homme, qui traînait les derniers jours d’une existence maladive au fond d’une hutte de troncs d’arbres, n’en travaillait pas moins avec ardeur, aidé par deux de ses fils qu’il avait laissés exprès dans l’Inde, à recueillir tous les débris de sa fortune écroulée. Selon lui, le brusque suicide du principal associé avait seul entraîné la déconfiture de leur maison ; selon lui, l’ordre remis à grand’peine dans le chaos de comptabilité où la raison de ce malheureux s’était perdue devait rétablir une balance au moins égale entre les dettes et l’avoir de leur établissement commercial.

Et il disait vrai. Ses espérances, que David traita d’abord de chimères, s’étaient de point en point réalisées. Après des années de travail et d’attente, le jour de la réhabilitation avait lui pour le pauvre banqueroutier moribond. Cette réhabilitation, complète pour lui, ne l’était pas pour David Stuart, qu’une restitution après coup ne pouvait absoudre d’avoir exposé la fortune de sa pupille, ce dépôt sacré. Néanmoins, en état de lui rendre intacte cette opulence dont il l’avait dépouillée, il espérait pouvoir se représenter devant elle, — toujours sous le faux nom qui cachait sa honte, — quitte à repartir pour l’Amérique dès qu’il l’aurait revue une fois encore.

Une heure après avoir lu ces détails, — et, dans le cours de cette