Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/841

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec une profonde surprise son tuteur arrêté sur la terrasse, en face d’elle, les bras croisés sur sa poitrine. Malgré les obstacles qui la dérobaient à sa vue, elle crut un moment qu’il l’avait devinée où elle était, car il leva vers elle des mains suppliantes ; mais, tandis qu’elle délibérait avec elle-même si elle pouvait ou non répondre à ce pressant appel, David s’éloigna d’un pas rapide, et disparut à l’angle du pavillon.

Le lendemain, à l’heure de son réveil, on vint annoncer à miss Raymond que David Stuart avait quitté le château. On lui remit cri même temps une lettre où le malheureux, écrasé de remords, et sans essayer une justification impossible, lui révélait le secret honteux de sa vie, l’odieux abus qu’il avait fait d’une confiance trop complète et trop loyale.

En deux mots, David Stuart avait ruiné sa pupille. Par un concours fatal de circonstances, placé un moment entre la possibilité de racheter Dunleath et le besoin de se procurer la somme nécessaire à ce rachat, il avait cru résoudre le problème en avançant, sur les fonds dont la gestion était en ses mains comme gardien de la fortune d’Eleanor, une somme énorme à des banquiers écossais, trafiquant avec l’Inde et sur le point de faillir. Cette somme devait les sauver. Une prime considérable était offerte. Les chances de l’affaire semblaient excellentes. Oubliant tous ses devoirs, cédant à la tentation de toute sa vie, David s’était laissé séduire. Un double châtiment l’attendait. Dunleath, mis en vente, avait été racheté par les héritiers du propriétaire, et, quelques mois plus tard, les deux maisons d’Édimbourg et de Calcutta, où se trouvait la fortune d’Eleanor, avaient à la fois suspendu leurs paiemens. L’un des associés s’était brûlé la cervelle ; l’autre s’était enfui en Amérique. Ces tristes nouvelles étaient arrivées à David en même temps qu’on lui soumettait les propositions de sir Stephen.

«… Dans ce naufrage universel de toutes mes idées d’avenir, dans le profond découragement où il m’avait jeté, j’espérai un moment, ajoutait la lettre en question, — que ce mariage serait possible, et qu’il vous rendrait, en partie, la situation de fortune que ma misérable folie avait compromise ; j’espérai que seul je porterais la peine de mon crime, et que mon déshonneur serait votre unique souffrance ; mais vous n’aimiez pas cet homme… Vous en aimiez un autre… Tout est donc perdu !…

«… Quand on vous parlera de moi, quand on maudira, comme elle mérite qu’on la maudisse, ma mémoire méprisée, on vous dira sans doute, Eleanor, que cette affection dont je vous ai donné tant de preuves depuis votre enfance n’était qu’hypocrisie et mensonge. Que vos souvenirs me défendent ! Dites-vous bien que je vous ai toujours tendrement aimée ; que chaque jour je priais Dieu de m’aider à remplir mes