Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Achevez !

— Alors même que je ne lui préférerais personne.

David, à ces mots, frissonna des pieds à la tète.

— Vous aimez !… vous préférez quelqu’un !… s’écria-t-il, cherchant à dissimuler une vive agitation.

Eleanor, plus tremblante que jamais, attendait la question qui devait suivre, et qui pouvait décider de son sort.

— Est-il riche ? lui demanda, les yeux à demi clos et respirant à peine, le malheureux David. Certes, ces paroles étaient inattendues. Elles ouvraient cependant une issue à l’aveu qui brûlait les lèvres de la pâle jeune fille.

— Non, répondit-elle,… il n’a guère plus que mon père ne vous a laissé…

— Votre père ? s’écria David… Au nom de Dieu ! Eleanor, ne me parlez jamais, jamais, de votre père… Et, quant à épouser un homme pauvre, cela ne saurait être… Votre mère ne saurait y consentir… Je dois, moi, m’y opposer de tout mon pouvoir… Et puis, Eleanor… dites-moi quel est cet homme ?… dites-le-moi, car en vérité ma tête se perd… Dites-le-moi, lorsqu’il en est temps encore… Je puis aujourd’hui quelque chose pour votre bonheur, ajouta-t-il d’une voix étrange… Demain, ma Nelly, demain peut-être je ne serai plus là…

En ce moment David se montrait à Eleanor sous un aspect tout nouveau pour elle. Il l’avait attirée vers lui comme aux jours de son enfance ; comme alors, par un geste affectueux, il passait sur ses longs cheveux une main caressante ; sa voix avait des intonations d’une douceur infinie, et cependant quelque chose en lui attestait une sorte de désespoir ; ses yeux, qu’il voulait rendre supplians, brillaient d’une flamme concentrée ; ses paroles, malgré lui brèves et convulsives, se démentaient elles-mêmes, et, voulant rassurer, inspiraient la terreur.

Cette terreur et la contagion du trouble poignant où elle voyait son tuteur étaient au-dessus des forces d’Eleanor. Les larges battemens de ce cœur, auquel le sien tenait déjà par tant de liens, la frappaient comme autant de commotions voltaïques. Elle sentit ses genoux se dérober sous elle, et, sans pouvoir prononcer le nom qui eût tout fait comprendre, elle tomba évanouie auprès de son tuteur épouvanté. Godfrey et lady Raymond, accourus au bruit de sa chute, accablèrent David Stuart, l’un de ses reproches, l’autre de ses questions ; mais il ne leur répondit point, abîmé dans une anxiété profonde. Ce fut Eleanor, bientôt revenue à elle, qui se chargea de tout expliquer. Resté seul, David appela son domestique, et donna les ordres nécessaires à un prompt départ.

Le soir même, Eleanor, assise auprès de sa fenêtre, regardait vaguement les jardins endormis, les parterres mouillés de rosée ; elle vit