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et docile personne, façonnée de bonne heure à respecter le caractère altier, la rectitude rigoureuse, l’inflexible et grondeuse équité du maître qu’elle se donnait.

La nouvelle de la mort de sir John Raymond et le testament où il avait consigné ses volontés dernières furent apportés en Angleterre par David Stuart, que le général avait eu pour secrétaire pendant les dernières années de sa vie, et qu’il avait institué le tuteur de sa fille.

Au témoignage de tous ceux qui l’ont alors connu, David était un jeune homme comme on en voit fort peu : — plein d’abandon et de graces dans la causerie familière, et réservant pour sa conduite cette précaution extrême qui fait le fonds du caractère écossais. Fils d’un père sottement et follement prodigue, il avait vu fondre sous ses yeux l’héritage qu’il était en droit d’espérer, la gêne remplacer l’aisance, la ruine succéder à la gêne ; puis enfin, un beau jour, il avait dû accompagnant son excellente et digne mère, quitter la terre qu’elle avait apportée en dot, Dunleath, le paradis où s’était écoulée l’enfance de David. Ce coin de terre adoré fut acheté par l’agent d’affaires qui depuis vingt ans était chargé d’en administrer la gestion et d’en percevoir les revenus. Avec le penchant naturel à sa race, le jeune Stuart emporta sous d’autres cieux l’image richement colorée de ce domaine alpestre que ceux de la Suisse devaient lui rappeler plus tard, de son lac bleu bordé de noirs épicéas, de ses grandes roches grises revêtues de mousses aux mille couleurs, de ses glens profonds, de ses ravines ombreuses hérissées de larixs argentés, de ses marais enchâssés dans l’or des bruyères, de ses collines aux longs profils empourprés par l’automne et dont les cimes aiguës, dont les flancs bosselés arrêtaient au passage les flocons déchirés de la nue errante. L’Écossais, rêveur comme le Suisse du reste et le montagnard pyrénéen, laisse, en la quittant, la moitié de son ame à sa terre natale, et l’influence nostalgique du Ranz des Vaches n’a rien de mieux constaté que celle des Adieux à Lochaber, sévèrement interdits, en Amérique, aux musiques militaires des régimens recrutés dans les Highlands.

Peu de gens, au surplus, furent appelés par David à recevoir la confidence de ses regrets. Sa mère, femme énergique et patiente, lui avait transmis, en lui donnant sur le monde et la vie les idées les plus rigoureusement exactes, le sentiment de cette réserve austère qui est, chez les hommes, l’équivalent de la pudeur féminine, et qui constitue la dignité du caractère. Après la mort de mistress Stuart, qui le laissait orphelin, — car son père n’avait pas survécu long-temps à la ruine dont il était l’auteur, — l’intrépide jeune homme emporta peut-être dans l’Inde, où il allait chercher fortune, la pensée que, comme lord Clive, il pourrait quelque jour racheter, de l’or conquis par ses rudes travaux, le domaine patrimonial ; mais son bienfaiteur lui-même ignora