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une amélioration matérielle, agit comme s’il pensait que les temps ne changeraient pas. En effet, le système du libre échange n’est philosophiquement vrai que dans l’hypothèse de la paix perpétuelle ; M. Cobden, qui a continué par les congrès de la paix la ligue du free trade, a été logique. Cette situation des développemens réguliers et de la paix européenne allait finir au moment où Peel agissait comme s’il l’eût crue éternelle. 48, auquel Peel préludait, et dont un pape après lui fut le précurseur, allait ouvrir une ère de réactions révolutionnaires et de déchiremens imprévus. L’Europe allait être comme cet homme ivre à cheval auquel Montaigne compare l’ame humaine, qui verse à droite si on le pousse de gauche, à gauche si on le pousse de droite, et qu’on ne petit rétablir sur son séant. L’Angleterre elle-même n’est-elle pas aujourd’hui un peu comme cet homme ? Ce n’est déjà plus sur les lois de douane si aimées de sir Robert Peel que les ministères tombent, c’est sur les lois de milice. On dit que les négocians s’apprêtent à devenir rifflemen. Et qui assurerait que le free trade de M. Cobden n’aura pas un jour à Londres le succès que les congrès de la paix ont eu à Francfort et à Paris ?

Lord George Bentinck avait le vague pressentiment de ces volte-faces si fréquentes dans l’histoire : il plaçait au-dessus des théories économiques l’intérêt de la perpétuité d’un grand parti national et parlementaire, c’est-à-dire la conservation des forces politiques de son pays. Dans les heures les plus difficiles, lorsque la résurrection du parti tory paraissait le plus incertaine, ce vaillant homme avait coutume de dire : Je mourrai à la tâche, ou je réussirai. Lord George est mort, et son œuvre a réussi après lui. Il continua jusqu’en 1848 la vie laborieuse, remplie et dévouée que nous avons décrite. Il connut, lui aussi, les dégoûts de la défaite et l’exaltation du succès. Pour empêcher l’application du free trade aux sucres des colonies anglaises, lord George Bentinck obtint de la chambre des communes la nomination d’un comité d’enquête. Il dirigea, comme président, avec une perspicacité, une activité, une application extrêmes, les travaux immenses de ce comité ; cependant il ne put faire adopter ses conclusions par ses collègues. Le surlendemain du jour où il avait éprouvé cet ennui, M. Disraeli le trouva dans la bibliothèque de la chambre des communes, à la recherche d’un livre dans les rayons. Il avait l’air soucieux. La veille était le grand jour des courses d’Epsom. Or le Derby avait été gagné par Surplice, un des chevaux du haras que lord George Bentinck venait de vendre pour se livrer tout entier aux ingrats devoirs de la vie politique. Il ne dissimula pas sa défaillance à M. Disraeli.

— J’avais travaillé pour ce but toute ma vie, lui dit-il, et à quoi l’ai-je sacrifié ?

M. Disraeli essayait de le consoler.