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par l’expérience des récentes réformes de tarifs, la supériorité de la politique libre échangiste. Ici, il endormit et noya dans les infiniment petits l’attention de ses auditeurs. Il disséqua les articles du tarif qui avaient été dégrévés ; il analysa, par exemple, la statistique des importations et les prix courans comparés du lard et du porc salé, de telle sorte que la grandeur de la question qui tenait les partis en haleine et le pays en suspens disparaissait dans la petitesse des détails, comme un fleuve dans les sables. Après cela, sir Robert Peel vint à la disette actuelle ; il en fit l’histoire, en supputa l’étendue, et lut la volumineuse correspondance qu’il avait reçue à ce sujet de ses agens ; il passa ensuite au récit de la crise ministérielle ; enfin il arriva à sa péroraison. À ce moment, il y eut dans son attitude et dans ses paroles un changement remarquable. Il avait débuté sur un ton caressant, modeste, humble presque ; il eut en terminant des accens de colère et de menace contre ceux de ses anciens partisans qui l’accusaient : il leur porta avec hauteur le défi de le renverser du pouvoir ; il se vanta d’avoir mis fin aux agitations politiques ; il fit valoir l’autorité de sa vieille expérience d’homme d’état en rappelant qu’il avait servi quatre souverains ; il déclara, et ce fut son dernier mot, que « c’était une tâche difficile de maintenir l’action combinée d’une monarchie ancienne, d’une aristocratie superbe et d’une chambre des communes réformée. » Ce qui revenait à dire que cette tâche, seul il pouvait l’accomplir, et que les tories devaient tout permettre au seul ministre qui fût capable de les préserver d’une révolution.

Lord John Russell se leva immédiatement après sir Robert Peel. L’émotion que les dernières paroles du ministre excitèrent sur les bancs des conservateurs eut le temps de se refroidir, pendant que lord John Russell racontait longuement l’histoire de son cabinet mort-né. Quand il eut fini, la discussion sembla close. Jusqu’à ce moment, le parti protectioniste n’avait donné aucun signe de vie. Si la séance se fût terminée là, si personne ne venait revendiquer ses principes et protester contre la conduite du ministre, si le parti restait sous le coup du langage dédaigneux et impérieux de sir Robert Peel, il eût semblé, aux yeux du pays, accepter sa défaite ; c’en était fait de son existence dès le premier jour. M. Disraeli le comprit, et, se levant spontanément, il saisit l’occasion aux cheveux.

M. Disraeli n’avait jamais pris la parole plus à propos, dans une circonstance plus grande et dans des conditions plus favorables à la nature de ses opinions et aux facultés éminentes de son talent. Ce qui est hors ligne dans l’originalité littéraire de M. Disraeli, c’est sa verve de satiriste. Il a décrit lui-même dans Contarini Fleming, un de ses romans les plus curieux, les étranges accès de gaieté satirique auxquels il est sujet. « Il y a des momens, dit Contarini, où je suis sous l’influence d’une