Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/808

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rejetée ; si elle était adoptée, ce pays est le dernier au monde que je voudrais habiter. » Ces paroles et mille protestations semblables résonnaient encore dans la mémoire des représentans de l’agriculture. On avouera qu’après avoir porté au pouvoir les hommes qui tenaient en 1841 untel langage, les tories durent croire qu’ils avaient mis dans une forteresse imprenable le principe pour lequel ils avaient combattu et vaincu aux hustings. Et maintenant, à la fin de 1845,- après quatre ans écoulés, ces mêmes hommes allaient livrer la place à l’ennemi.

L’heure fatale sonna enfin où le parti conservateur devait connaître son sort. Le parlement se réunit le 22 janvier 1846. Il n’y avait eu aucun concert préalable entre les membres du parti tory. La plupart des protectionistes n’étaient venus à Londres qu’à la veille de l’ouverture de la session. Lord George Bentinck arriva le jour même. On eût dit qu’ils avaient voulu rester éloignés le plus long-temps possible d’une scène où ils n’entrevoyaient que des humiliations et des désastres pour leur cause. La nécessité de combattre des hommes qui avaient été jusque-là leurs amis dans la vie privée, et dont l’élévation au pouvoir avait été l’œuvre et l’orgueil de leur vie publique, remplissait le plus grand nombre de tristesse. Les plus irrités ne pouvaient prévoir au bout de cruels déchiremens que la débâcle de leur parti, et puis un long avenir de confusion, d’obscurité, d’impuissance. Quelques-uns espéraient encore que sir Robert Peel n’abandonnerait pas absolument les intérêts de l’agriculture et les opinions de sa vie ; d’autres se résignaient par désespoir. Au début de cette première séance, l’attitude des protectionistes n’exprimait que l’abattement au fond, et à la surface une curiosité morne.

Après que l’adresse eut été proposée et soutenue par deux amis du ministère, sir Robert Peel se leva, et un silence avide préluda à ses premières paroles. Le discours du ministre fut fort long. Il traita une telle diversité de sujets avec une telle prodigalité de détails et une telle variété de tons, que, pendant deux heures, les impressions des protectionistes changèrent plusieurs fois. Les premiers mots réveillèrent quelque espérance ; sir Robert repoussait comme téméraires et comme immérités les jugemens qu’on avait portés sur lui avant de l’entendre. Cette lueur dura peu : il avoua que la mauvaise récolte n’était que le prétexte accidentel des mesures qu’il allait proposer, et que ses opinions étaient complètement changées au sujet de la protection et du libre échange. Le ministre voulut alors justifier ce changement d’opinion par une discussion des généralités philosophiques du système libre échangiste, qui n’était guère dans sa manière oratoire, et qui faisait courir des frissons d’indignation dans les rangs des protectionistes. Sir Robert Peel amortit un peu ce sentiment en essayant de démontrer,