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pour en enrichir les plaines désertes de la Pologne, nous hésiterions encore. Nous conserverions avec douleur le souvenir des tableaux rians qu’on voudrait nous enlever. Nous verrions avec regret la culture descendre du sommet des collines qu’elle a couvertes sous l’influence de la protection, et d’où elle contemple avec joie les progrès d’un travail prospère. Si vous nous persuadiez que vos plus brillantes espérances dussent se réaliser, que ce pays dût devenir le grand bazar du monde, même alors, quand tous vos présages de félicité devraient s’accomplir, nous n’oublierions pas que nous devons à la protection donnée pendant deux cents ans à l’agriculture - nos marais desséchés, la santé du peuple améliorée, la vie commune prolongée, et tout cela, non aux dépens de la prospérité manufacturière, mais parallèlement à ses miraculeux progrès. Si vous nous aviez invités à abandonner le système protecteur avec toute l’autorité d’une administration unie, en déployant une sagacité supérieure et des raisons triomphantes, nous aurions été sourds à votre appel ; mais vous ne nous présentez que des conseils divisés et des faits contradictoires. Nous refusons donc péremptoirement de remettre notre jugement à votre conduite et de livrer la protection de l’agriculture à la loterie d’une législation hasardeuse. » Sir James Grabam, qui exerça, dit-on, une influence décisive sur la conversion de sir Robert Peel au free trade, prononçait en 1841 des discours non moins fleuris et plus pathétiques en faveur de la protection. Ce qu’il reprochait surtout au free trade, c’était d’amener un déclassement inévitable dans la main-d’œuvre et de jeter dans les villes les ouvriers des champs. Cette perspective lui arrachait des larmes. « oh ! disait-il, que la chambre y pense bien, avant de prendre une décision qui amènerait des déplacemens de travail. On ne sait ce qu’entraînent de souffrances et de douleurs ces eaux tranquilles dont on détourne le lit. On n’a pas l’idée des misères qu’engendrent les changemens d’habitudes, de demeures, de mœurs, de manière de vivre. Quel déplacement plus cruel le despotisme lui-même pourrait-il infliger ? Le pauvre laboureur renonçant aux pures et fraîches matinées de la campagne pour aller s’éveiller au son lugubre de la cloche d’une manufacture, abandonnant le cottage, le jardin fleuri, le village verdoyant pour les cellules sombres d’une cité populeuse, les joies innocentes des rustiques promenades du dimanche pour la débauche soucieuse où se corrompent les multitudes agglomérées ! Quels sont les moralistes qui n’élèveront pas la voix contre ces effroyables conséquences de la mesure que l’on propose ? Ne me parlez plus des Polonais déportés en Sibérie ; les auteurs du plan qu’on discute veulent accomplir sur leur terre natale une cruauté plus atroce. Tel est le premier pas qu’on veut faire pour transformer l’Angleterre en bazar du monde ! J’espère que cette proposition sera