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Et ceux qui passent leurs nuits à lire les livres de Dieu.
Il aime aussi les braves,
Les braves qui frappent avec le sabre
Et qui jettent dans la poussière
Les infidèles et les mécréans.
Qui le possède devance tous les autres
Auprès de Dieu, le maître du monde.
Qui le possède devra avoir une parole
Qui ne revienne jamais,
Le sabre toujours tiré
Et la main toujours ouverte pour les pauvres.
Mais ce chelil, je ne l’ai jamais vu sur la terre.
Je ne sais pas même de quelle couleur il est.
On m’en a parlé, et j’y ai cru.


Je ne sais point si je m’abuse sur le mérite de ces vers, mais il me semble qu’il y a dans ce morceau un charme et une grandeur qu’offrent rarement les œuvres de l’esprit chez les nations les plus avancées. Le dernier trait:« On m’en a parlé, et j’ai cru, » ne déparerait point la composition la plus savante d’une littérature raffinée. Il exprime ce que la foi du croyant a de plus absolu et de plus enthousiaste avec une sorte de grace sceptique. L’officier que je voulus convaincre eut la même impression que moi. Ce début nous avait mis tous deux en goût de poésie, et je fis un nouvel appel à la mémoire du Chambi.

Les poètes, chez les Arabes, puisent tous leurs inspirations aux mêmes sources, La religion, la guerre, l’amour et les chevaux, voilà ce qu’ils célèbrent sans cesse. Souvent le même chant renferme ces élémens bornés et féconds de toute leur vie. On demande à Dieu de rendre vainqueurs ceux qui l’implorent ; on demande aux chevaux de porter ceux qui les possèdent auprès des Fatma ou des Aïcha. Quelle différence entre cette primitive et vigoureuse poésie de l’Orient, si riche dans ses développemens, mais si sobre dans ses matières, et notre poésie inquiète, tourmentée ; fantasque, qui bouleverse toutes les régions du ciel et de la terre pour y chercher les sujets qu’elle traite en sa langue fébrile et travaillée ?

Les souvenirs du Chambi se rassemblaient souvent avec peine, et sans cesse nous obtenions seulement quelques bribes de chants que nous aurions voulu pouvoir écrire tout entiers ; mais les vers sont comme des diamans qui brillent d’un éclat d’autant plus vif, qu’ils ne sont point réunis en diadèmes ou en bouquets.

Voici au hasard quelques-uns des fragmens que j’arrachai à la mémoire de mon singulier visiteur; je crois qu’on y verra comme moi de ces vastes éclairs où se découvrent des perspectives infinies.

Porte les yeux sur les douairs des Angades,
Puis lève-les au ciel et compte les étoiles ;
Pense à l’ennemi où tu n’as point d’ami,
Pense à nos montagnes, à leurs étroits sentiers ;
Viens seul, m’a-t-elle dit, et sois sans compagnon.