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lui conserver le caractère primitif en le traduisant dans une langue qui appartient à une civilisation tout-à-fait opposée. Ni le Freyschütz de Weber, ni le Fidelio de Beethoven ne sont des ouvrages qui puissent être arrangés, — pour la scène italienne surtout. Le génie de la langue allemande, celui des poètes et des grands musiciens qu’a produits ce pays de mystères et de pieuses légendes, sont impossibles à marier avec les passions bruyantes et l’imagination lumineuse d’un peuple de race latine. Il y a de bonnes gens qui croient connaître Shakspeare ou Weber parce qu’ils ont lu une traduction de Roméo et Juliette et qu’ils ont entendu chanter à l’Odéon l’opéra de Robin des Bois. Leur erreur ne serait pas moins grande, s’ils supposaient que le Fidelio qui se donne au théâtre Ventadour est réellement le Fidelio de Beethoven. D’abord le Fidelio de Beethoven est, comme le Freyschütz, un véritable mélodrame mêlé de dialogues qui servent de texte aux commentaires de la symphonie. Cette forme heureuse, où se trouve combinée la parole, véhicule des idées vulgaires et prosaïques de la vie, avec la musique, traduction poétique des sentimens plus élevés, est un moule plus dramatique et plus vrai que notre tragédie lyrique. Ce n’est pas ici le lieu de développer toutes les bonnes raisons qu’on pourrait faire valoir pour prouver que le système lyrique des Allemands est infiniment préférable à celui qui a prévalu en France depuis Lulli jusqu’à nos jours. Quoi qu’il en soit de ces idées, il a fallu ajouter, à la place du dialogue qui joue un rôle si important dans le Fidelio de Beethoven, un mauvais récitatif qui a été fabriqué par je ne sais quel maestro ignoré. Ce récitatif joint au fracas de la langue italienne, qui jette sur les notes profondes du compositeur allemand sa fastidieuse sonorité, altère profondément la couleur de ce drame, qu’il faut écouter avec une oreille attentive et pieuse, comme il convient d’écouter l’œuvre complexe et un peu étrange du plus sublime des symphonistes.

L’exécution, sans être parfaite, est au moins tolérable. M. Beletti se tire avec honneur du rôle difficile du gouverneur, M. Calzolari chante avec goût son air du troisième acte, et Mlle Cruvelli trouve de belles inspirations sous le costume de Fidelio. Elle chante son bel air du second acte d’une manière remarquable, et avec une simplicité de style dont il est à désirer qu’elle conserve les habitudes. Les chœurs et surtout l’orchestre vont très bien.

La saison des concerts a été inaugurée cette année, comme les années précédentes, par l’orchestre du Conservatoire avec l’éclat accoutumé. Au milieu de son répertoire séculaire, dont il est fâcheux qu’elle ne cherche point à varier les élémens, la société des concerts a fait entendre cette année une nouvelle symphonie de Mendelssohn, la quatrième, où l’on retrouve l’art prodigieux qui caractérise les œuvres de ce compositeur éminent. L’andante de cette symphonie est un vrai chef-d’œuvre de facture, et il est impossible de porter plus loin que ne l’a fait Mendelssohn dans ce morceau la science des développemens. Dans son deuxième concert, la société du Conservatoire a donné un charmant quatuor, Dei Viaggiatori felici, de Cherubini, morceau un peu long, mais rempli de grace et de gaieté bénigne, écrit dans un style tempéré, où se combinent à la fois la manière de Mozart et celle de Cimarosa. Il serait bien à désirer que la société du Conservatoire surtout fît entendre plus souvent la musique de ce chef illustre de l’école française, dont la génération actuelle connaît le nom plus que les œuvres.