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du cœur, — la critique n’en doit pas moins tenir compte à M. Gueymard des efforts qu’il fait pour se rendre digne de l’œuvre immense dont il est l’interprète. Quant à l’air du quatrième acte et à ce cri monstrueux qu’on appelle l’ut de poitrine et qui était au talent de M. Duprez ce que les doigts de Paganini étaient au génie de ce virtuose, nous engageons M. Gueymard à s’abstenir de rendre un effet aussi impossible que dangereux. Si M. Gueymard mettait son amour-propre à arracher de son gosier rebelle cette note affreuse et stridente, il prouverait qu’il est aussi incapable de s’élever à la hauteur du talent de M. Duprez que de comprendre le chef-d’œuvre de Rossini.

M. Morelli, qui est chargé du rôle important de Guillaume Tell, possède une fort belle voix de baryton étendue, sonore et flexible ; mais une articulation molle et confuse, une prononciation défectueuse, un goût équivoque pour les hors-d’œuvre et les points d’orgue désastreux qu’il ajoute parfois à la pensée du maître, affaiblissent considérablement le plaisir qu’on aurait à entendre cet artiste distingué. Quant à Mme Laborde, elle chante la partie de Mathilde comme elle chante tout ce qui lui est confié, avec plus de fracas que de charme, de justesse et de vérité. Elle n’a rien compris à la romance adorable de Sombres forêts, dont les accompagnemens, remplis de modulations exquises, semblent reproduire la fraîcheur, les clartés discrètes et les divines langueurs qui caractérisent la température des bois sous un ciel généreux. Remarquons en passant la différence qui existe entre un musicien du Nord, comme Weber, et un musicien du Midi, comme Rossini, peignant les mêmes objets, rendant les sensations que nous fait éprouver l’aspect d’un même paysage. La poésie de la nature, telle que l’exprime Weber dans son Freyschütz, est pleine de mystère, de profondeur et d’élans religieux, tandis que, dans le Guillaume Tell de Rossini, elle est sonore, lumineuse, remplie de perspectives qui Trous laissent entrevoir au loin les joies et les bruits de la vie. Les chœurs sont chantés avec beaucoup de soin, surtout celui du troisième acte, qui, exécuté par cent cinquante voix, produit un effet formidable. En somme, si la reprise de Guillaume Tell n’a pas été couronnée par un succès complet, elle n’en mérite pas moins d’être notée comme un spectacle qui mérite vraiment d’être vu.

Quant au théâtre de l’Opéra-Comique, où les succès nombreux et faciles se succédaient depuis quelques années avec un bonheur incroyable, il semble que la fortune se soit lassée de lui prodiguer ses faveurs. Les représentations fatigantes du Château de la Barbe-Bleue, de L. Limnander, effraient les plus intrépides amateurs de mélodrames, et c’est à peine si le talent de Mme Ugalde, dont on a tant mésusé, réveille une ou deux fois par semaine l’indifférence du public. Pour varier un peu le fonds monotone de son répertoire connu, l’administration a eu l’idée de remettre en scène la Nina de Dalayrac, pour les débuts de Mlle Favel, élève da Conservatoire. Ce petit opéra, qui a été représenté pour la première fois en 1786, a dû son grand succès à quelques mélodies agréables, parmi lesquelles se trouve la romance si connue : Mon bien-aimé, — au sujet de la pièce, qui répondait parfaitement à l’extrême sensibilité de nos pères, et surtout au talent de la cantatrice qui était chargée du rôle principal. Mlle Favel ne possède aucune des qualités qui auraient été nécessaires pour donner à la faible musique de Dalayrac un intérêt passager. Aussi, après trois ou quatre représentations, qui n’ont en d’autre résultat que d’exciter la