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en droit de compter, faisaient cause commune avec la légation russe. De ce nombre étaient l’Autriche et Naples, obéissant en cela aux nécessités politiques qui les attachent à l’alliance de la Russie. La Belgique restait à peu près indifférente. L’Espagne et le Portugal appuyaient seules franchement les efforts de la légation de France. En dépit des intérêts du catholicisme, qui étaient en cause, Rome, dominée par les mêmes considérations que l’Autriche et Naples et piquée peut-être aussi de l’opposition que la France a faite naguère à l’établissement d’une nonciature apostolique à Constantinople, Rome elle-même n’employait qu’à regret en faveur du cabinet français les influences dont elle dispose dans l’empire ottoman.

Quoique réduite à peu près à ses seules forces, la France, redoublant d’activité, vient de triompher en partie des difficultés qui lui étaient suscitées. Le gouvernement turc a fini par lui donner raison sur les points principaux du débat en bravant le ressentiment du cabinet russe. Les droits consacrés en 1516, en 1690, et en dernier lieu en 1740, en faveur des Latins, sont reconnus. Par malheur, les conventions qui portent ces dates, tout en attribuant la possession des sanctuaires des lieux saints aux religieux catholiques, ne déterminent point quels sont ces sanctuaires. Se fondant sur des pièces trouvées dans un cloître et qui se rapportent à l’état des choses au XVIIIe siècle, le représentant de la France à Constantinople avait d’abord réclamé huit sanctuaires. La France n’a pas obtenu tout ce qu’elle avait demandé ; mais les religieux latins pourront du moins célébrer les cérémonies du culte catholique dans les sanctuaires revendiqués, à l’exception d’un seul, celui de la Nativité ; ils rentrent aussi en possession des clés de l’église de Bethléem ; en un mot, ils retrouvent une partie du terrain qu’ils avaient perdu depuis 1740.

Cette solution, sans être absolument satisfaisante, n’est point de nature à plaire à la Russie, qui demandait par l’organe même de son souverain le maintien du statu quo. Aussi, en accordant cette satisfaction à la France, le sultan a-t-il senti le besoin de parer aux reproches qui ne peuvent manquer de venir de Saint-Pétersbourg. De là le mouvement qui a eu lieu dans le personnel du ministère. Depuis long-temps et principalement depuis l’affaire des réfugiés hongrois, la politique libérale du grand-vizir Reschid-Pacha était l’objet des plaintes du cabinet russe. Reschid-Pacha descend de cette haute situation au poste de président du conseil d’état et de justice, qui lui assure toutefois une entrée au conseil des ministres. Réouf-Pacha, qui le remplace dans la plus haute dignité de l’empire, est d’ailleurs un vieillard des plus honorés, dont les opinions, sans être aussi précises que celles de Reschid-Pacha, ne passent point pour être hostiles à la réforme. Le ministre des affaires étrangères, l’homme le plus distingué du dernier cabinet après le grand-vizir et l’auxiliaire le plus dévoué de sa pensée, Ali-Pacha, reste au pouvoir. Cette concession faite à la Russie n’entraîne donc point l’adoption d’une politique nouvelle. Peut-être cet avènement d’un vizir qui n’est point d’âge à s’occuper très vivement des affaires n’aura-t-il en définitive d’autre conséquence que de permettre au sultan de saisir ouvertement lui-même le gouvernail, suivant le désir qu’on lui attribue. Les sentimens bien connus du jeune souverain sont un gage assuré du maintien de ce système de réforme auquel l’avenir de l’empire ottoman est attaché.


H. DESPREZ.