Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/774

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réservé au ministère est plus obscur que jamais. Comme on devait s’y attendre, après les difficultés que lord John Russell avait éprouvées pour fortifier son cabinet, le ministère s’est présenté devant le parleraient sans avoir subi de modification importante, — car le renvoi de sir James Cam Hobhouse (remplacé par M. Fox Maule), opéré dans les derniers jours de janvier et reçu avec une parfaite indifférence, ne peut passer pour une modification. Malgré toute notre sympathie pour le caractère de lord John Russell, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu’il est beaucoup trop l’homme des palliatifs, des demi-moyens et des demi-mesures ; il accomplit de petites modifications, de petites réformes, quand il faudrait prendre résolument un parti énergique et décisif. Jamais son embarras et sa timidité d’esprit ne se sont mieux traduits que dans les circonstances critiques où il se trouve. Obligé, par exemple, de désapprouver la politique de lord Palmerston et de frapper ainsi sur les siens, il a vainement cherché les moyens de se rendre la force qu’il venait de s’arracher, et il a cru avoir assez fait en remplaçant lord Palmerston par lord Granville, et lord Broughton par M. Fox Maule. Lord John Russell a besoin d’alliés à tout prix ; n’importe, il ira assez loin pour mécontenter les tories, sans aller assez loin pour contenter les radicaux.

On peut résumer d’un mot la situation actuelle de l’Angleterre : tous les partis espèrent, et lord John Russell, malgré la faiblesse de son ministère ; ne paraît pas disposé à leur abandonner la place. Toutes ses paroles portent témoignage d’une confiance sans bornes. Quoique les radicaux se soient montrés plus froids depuis l’ouverture du parlement, ils soutiendront cependant ce cabinet, qui leur promet toujours sans leur rien donner jamais ; ils le soutiendront, sinon pour ses actes, au moins en récompense de ses tendances. Faiblement défendu et froidement encouragé par les radicaux, lord John Russell doit s’attendre à être vivement attaqué par le parti tory tout entier, sans exception de nuance, par les protectionnistes aussi bien que par les peelites, dont la frêle sympathie pour le ministère a été entièrement éteinte par la mauvaise issue des négociations engagées entre lord John Russell et sir James Graham. Le parti tory se reforme en effet : M. Disraëli et sir James Graham sont prêts à s’embrasser. Tout récemment, devant les électeurs de Tamworth, le fils de l’illustre Robert Peel, dans un discours où les désirs de vengeance contre lord John Russell, coupable de tant de tricheries parlementaires commises envers son père, perçaient à chaque instant, annonçait la formation prochaine d’un ministère tory et la recomposition d’un grand parti conservateur ayant pour chef lord Stanley. Les tories sont donc pleins d’ardeur en ce moment, l’ambition s’est réveillée chez eux ; elle grandit d’heure en heure. Le rapprochement des peelites et des protectionnistes raffermit la puissance de ce parti, en donnant aux classes moyennes et aux cités manufacturières des gages de sécurité. Les tories croient que l’heure est revenue pour eux de reprendre le pouvoir, et peut-être, en effet, n’est-elle pas très éloignée ; la nation anglaise est en ce moment préoccupée de toute autre chose que de pensées de réforme. Pourvu que son gouvernement lui assure sécurité et ne touche pas aux conquêtes commerciales des dernières années, elle ne demandera rien de plus, et même elle donnera avec joie le pouvoir au parti qui, par ses idées et ses tendances, est le plus capable de lui donner cette sécurité conservatrice. Le sentiment de la nation