Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/771

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commun des discours de deux hommes que les circonstances, aussi bien que l’élévation de leur talent, ont faits pour les agitations de la vie publique !

M. Guizot avait raison de le dire : — s’il y eut jamais entre deux membres de l’Académie un contraste frappant par la vie, par les habitudes, par le caractère, n’est-ce point entre M. Droz et M. de Montalembert ? Jeté tout jeune dans la mêlée politique, M. de Montalembert y a porté un rare mélange de qualités brillantes, d’entraînemens passionnés, de témérités d’esprit qui ne redoutent pas toujours le paradoxe, et d’ardeurs d’imagination, — tout ce qui, en un mot, risque le plus de mettre en défaut le sens pratique et de compromettre parfois les bonnes causes, sans nuire à la sincérité de la conscience. Nous nous souvenons d’un jour, peu avant février, où M. de Montalembert, dévoilant l’œuvre révolutionnaire de la Suisse et les mystères de destruction qui s’y cachaient, montrant la lave prête à déborder de ce foyer incandescent sur l’Europe, soulevait de son siége la vieille pairie peu accoutumée à ces entraînemens, et éveillait peut-être dans plus d’un esprit l’incrédulité en même temps que la sympathie. Si l’on croyait peu alors au fantôme révolutionnaire, on y a cru depuis. Ce discours a été pour M. de Montalembert comme le point de départ d’une situation nouvelle que la révolution de février est venue dessiner plus nettement. L’homme d’autrefois ne s’est point effacé en lui sans doute, mais il s’est plus rapproché de ce milieu favorable où l’orateur politique parle pour tous, où il se sent le défenseur naturel de tous les intérêts sociaux menacés, et non d’un intérêt unique, exclusif, quelque supérieur qu’il soit. On peut assurément différer d’opinion avec M. de Montalembert sur bien des points, il faut même se garder de partager l’excès de plus d’une de ses appréciations ; ce qu’on ne saurait méconnaître pourtant, c’est ce qu’il y a de valeureux dans cette nature militante, chez qui l’instinct du bien est une véritable Passion, et qui d’avance dit fièrement non ! aux despotismes révolutionnaires, lesquels pourront l’avoir « pour victime, » mais non « pour complice. » Qu’importent ensuite les dissentimens légitimes ? L’édit de Nantes, qui était rappelé l’autre jour à l’Académie, n’est pas, nous le supposons, sur le point d’être de nouveau révoqué. Et puis, ainsi que le disait M. Guizot, à travers les obscurités de la vie, ne peut-il pas y avoir plusieurs routes pour les gens de bien sans que le but soit différent ?

Un des personnages de cette séance académique dont nous n’avons point parlé, et qui y joue pourtant le principal rôle, ce n’est rien moins que la révolution française elle-même, mise sur la sellette avec la plus inexorable éloquence ; elle remplit le discours de M. de Montalembert. Cela ne saurait étonner beaucoup : la révolution est la fatalité de notre temps, elle pèse sur nous du poids de ses erreurs, de ses préjugés et de ses crimes. Qu’on réunisse trois hommes pour s’occuper de politique ou de morale historique, leur premier mot sera pour la révolution française. L’occasion était naturelle ici, puisque M. Droz a écrit lui-même une Histoire de Louis XVI, où il se propose de rechercher, avec une grande honnêteté de vues, par quels moyens on aurait pu empêcher la révolution. À vrai dire, nous n’avons point une foi absolue à l’utilité d’une semblable thèse. L’estimable académicien ne remarquait pas qu’il aurait pu, en remontant plus haut, se poser cette autre question : — par quels moyens aurait-on pu empêcher le XVIIIe siècle d’être ce qu’il a été dans son développement