Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/767

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec humanité et libéralisme. C’est une confusion de langues universelle, un malentendu général.

Ainsi donc, pour M. Kingsley, le péril de la société anglaise consiste surtout dans l’état moral des générations qui s’élèvent. Cet état moral a deux causes : la tyrannie des formules sociales, politiques, religieuses, qui pèse sur les jeunes esprits, à qui on n’a point enseigné le sens de ces formules, et par suite une inquiétude fiévreuse qui paralyse leurs forces, pervertit leurs instincts, et frappe de stérilité les dons et les talens que la Providence leur a départis. À ce mal M. Kingsley ne voit qu’un remède : c’est une réforme dans l’éducation, opérée au moyen d’un redoublement de foi protestante. Nous ferons à ce propos deux observations, l’une touchant le protestantisme, l’autre touchant les destinées possibles de l’Angleterre.

Le protestantisme ne peut vivre, en vertu même de son origine et de son essence, que par une éducation sévère, assidue, libéralement donnée à tous. S’il oublie de donner et de répandre l’éducation, s’il laisse se refroidir son zèle, s’il laisse les générations livrées à elles-mêmes, il n’est que la plus coupable des doctrines. Lorsqu’il arriva, il accusait fièrement le catholicisme de retenir l’homme dans le paganisme et d’entretenir en lui le sentiment de la nature païenne et charnelle. « Vous retenez la vérité entre vos mains, disait-il aux chefs de l’église ; la grace de Jésus-Christ, par laquelle les hommes ont été rachetés, vous l’accordez à volonté et la retirez de même, selon votre inspiration ou les caprices de votre tyrannie. Vous supposez que les hommes sont toujours des païens, et vous vous bornez à les prêcher, comme s’ils étaient encore des gentils non convertis. Nous, nous voulons que la loi du Christ ne soit pas seulement la bonne nouvelle ; nous voulons qu’elle soit un fait, et qu’elle se traduise dans la vie de l’homme, dans ses actes comme dans ses prières. Que celui qui veut encore être païen coure à sa damnation éternelle, mais celui qui est chrétien sait comment il doit vivre et prier. » Il suit de là bien évidemment la nécessité d’une éducation et d’une surveillance assidue : le pouvoir une fois arraché aux mains de l’église, c’est la société elle-même qui a charge d’ames ; c’est la famille, c’est l’individu. S’il se trouve au sein de la nation une seule ame qui ait été laissée à sa nature déchue, et à qui personne n’ait fait attention, la société est coupable. Il ne peut y avoir dans une telle nation que des païens et des libertins volontaires, et par conséquent malheur aux gouvernemens, aux familles, aux individus assez insoucians ou assez impies pour avoir laissé dans les ténèbres de l’erreur une seule ame ! Le protestantisme ne peut donc, sans mentir à lui-même, s’empêcher de répandre sans cesse et indéfiniment l’éducation, et il ne peut mentir à lui-même sans entraîner l’Angleterre à sa perte.