Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/765

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrivent ; mais, personne ne songeant à elles, elles ne recevront aucune parole sympathique, elles ne recevront aucune direction ni aucune éducation. — Passez votre chemin, leur disent leurs aînées, nous avons nos affaires. — La société marche encore, parce que la force des traditions n’est pas épuisée, et que la source de ces traditions est prochaine ; mais, à mesure que le temps s’enfuit, l’esprit et la signification de toutes les choses politiques et morales s’obscurcissent, et comme on a oublié d’en entretenir le sentiment et d’en perpétuer la connaissance, il arrive un moment où des générations entières sont plongées dans l’ignorance. Alors on s’émeut, et l’on se demande avec anxiété, mais trop tard, comment on pourra porter remède au mal. Les hommes qui tiennent encore les affaires voient avec frayeur approcher le jour où le gouvernement devra passer aux mains des nouvelles générations. « On commence à s’alarmer sérieusement, disait dernièrement un journal anglais ; il ne se révèle pas de jeunes gens de talent. » Le moyen en effet de gouverner avec des hommes dont les uns vous chuchotent à l’oreille qu’ils vont fonder une religion, dont les autres vous parlent sérieusement de rétablir les institutions du moyen-âge et l’indépendance de l’ordre des paysans ! Réminiscences, pâles souvenirs, désirs fiévreux, velléités intellectuelles, fantaisies et archaïsme, voilà les idées, les dons, le caractère des nouvelles générations prises en masse. Remuantes et loquaces, en apparence ardentes, en réalité paresseuses et inactives, on croirait qu’elles vont bouleverser le monde ; — dormez tranquilles, gens paisibles et établis de tous les pays : tout ce qu’elles peuvent faire, c’est exciter le bouillonnement des eaux à leur surface ; quant à changer le monde, elles n’en sont point capables, car elles n’ont ni levier ni point d’appui, c’est-à-dire ni principes ni caractère. Si elles sont ainsi, sur qui doit en retomber la responsabilité ? Si leurs pères avaient eu quelque chose à leur apprendre, peut-être n’en seraient-elles point là. Jamais les pères n’avaient à ce point abandonné leurs enfans et n’avaient en moins de souci de leur avenir. Ce mal n’est point particulier à l’Angleterre, et nos voisins sont à cet égard encore mieux partagés et plus heureux que les autres nations. Les Anglais qui abandonnent leurs traditions, et qui s’en retournent au sein de l’église romaine, suivent une route qui peut leur sembler dangereuse ; mais leur conduite est au-dessus de tout blâme et de toute colère, et, quant à ceux qui, comme le jeune Lancelot, suivent leurs rêves et s’engagent dans un chemin sans issue, il leur reste au moins l’orgueil pour préserver leur dignité. Nous sommes en vérité plus mal partagés.

Néanmoins cet égoïsme des générations précédentes trouve déjà sa punition. Rien n’est étrange dans le livre de M. Kingsley comme les conversations des hommes d’âge différent réunis autour du même foyer ou de la même table. On dirait une suite de quiproquo : chacun