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qui paralysent en eux l’action, empêchent la croyance d’éclore en même temps qu’elles les détournent des anciennes pratiques et des anciennes vertus, brisent toute confiance et empoisonnent la gaieté et l’amour. Ils passent leur existence à opposer le doute au doute, et à inventer une sorte de scepticisme semi-religieux qui puisse les préserver contre le scepticisme du monde. L’esprit entre en lutte contre les désirs charnels, la tyrannie des faits extérieurs contre l’orgueil du caractère, cependant que les relations, les mœurs, les préjugés les enveloppent de leur réseau, et les obligent, en dépit de leurs frémissemens intérieurs et de leurs colères muettes, à rester inactifs et à être livrés en sacrifice à l’idole de l’habitude, comme le gladiateur dans les cirques romains, enveloppé dans les filets du rétiaire, est livré sans défense au poignard de son antagoniste. Quelques-uns, résignés et repentans, retournent vers l’église romaine et se précipitent au pied des images des saints brisées par leurs ancêtres. D’autres, les ingénieux et les subtils, passent leur vie à entreprendre des combinaisons métaphysiques et à construire des systèmes pièce à pièce, comme un mécanicien oisif ou devenu fou par trop d’amour de son art se plaît à inventer des pendules-modèles et des machines surprenantes. Les plus audacieux et les plus remuans, n’ayant en eux aucun principe moral d’action, se jettent dans les entreprises de rail-ways, et prennent pour de l’action la construction de manufactures ou l’exploitation de la matière. D’autres encore, comme les dieux d’Épicure, restent dans leur repos, et, confians dans les destinées de l’espèce humaine, demeurent immobiles, dans la crainte sans doute qu’en remuant le doigt, ils ne la détournent de son droit chemin. Quelques-uns, plus rares de jour en jour, livrés à l’hypocrisie puritaine, au vice austère appelé cant, s’appuient par absence de charité sur la vieille maxime du protestantisme « la foi suffit sans les œuvres. » Les plus malheureux à coup sûr, ce sont ceux chez qui la chimère s’unit à l’orgueil qui rougissent de ne pouvoir agir, et qui, lorsqu’ils se disposent à l’action, se demandent quelle tâche leur a été départie, et reconnaissent avec honte que c’est pour la première fois qu’ils s’adressent cette question ; ce sont ceux qui cherchent un ennemi imaginaire à combattre, ceux qui cherchent une tâche chimérique à entreprendre, un rôle impossible à remplir, qui sentent qu’ils ont manqué, qu’ils vont manquer aux lois de l’existence et de la destinée. Le malheur de ceux-là ne peut avoir de consolation, et leur conscience ne peut avoir de calme. Ils vont et vont sans savoir où, à la dérive, tournant sur eux-mêmes comme une machine dont le ressort principal destiné à régler et à arrêter le mouvement, vient à manquer ou à se rompre.

Le jeune Lancelot Smith est dans cette dernière catégorie. Riche, instruit, il est né au sein de ces classes moyennes où l’intelligence