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et de langage, peignent M. Rossi et montrent combien la nature l’avait fait et combien l’expérience l’avait rendu capable des affaires d’état.

C’est un spectacle qui élève l’ame et qui la console au milieu des misères qui remplissent trop souvent l’histoire des gouvernemens et des sociétés, quand, par un coup de la fortune ou une bénédiction de la Providence, un homme supérieur se rencontre, dont la main enfin s’impose aux affaires et les soumet à l’impulsion d’une volonté savante et résolue. Ainsi apparaît dans les annales du pontificat de Pie IX le ministère, de M. Rossi. Jusque-là, les affaires et les temps avaient mené les hommes : le peu de jours que M. Rossi gouverna, on vit enfin un homme conduire les affaires et dominer les temps ; mais ce ne devait être que peu de jours. L’heure fatale approchait où le poignard d’un assassin allait enlever au saint-siège son dernier appui, à la liberté son suprême défenseur, à l’Italie l’un de ses plus dévoués enfans. L’ouverture du parlement romain était fixée au 15 novembre. M. Rossi avait préparé pour cette solennité un discours qui devait être le résumé et le programme de sa politique. Il ne put le prononcer. Un de ces misérables que la violence de langage des factions finit toujours par susciter des bas fonds de l’anarchie le frappa sur les marches même de l’escalier du parlement. Le matin, il avait été averti jusqu’à quatre fois ; mais la conscience du grand devoir qu’il avait à remplir avait été la plus forte. Il tomba le cœur tranquille, le regard fier et le mépris sur les lèvres. On sait le reste. Non-seulement l’assassin ne fut pas puni, mais il fut glorifié. Pas une voix dans l’assemblée romaine n’osa protester. Le soir, la famille en larmes de la victime fut outragée par les complices de l’assassinat. Le lendemain, enhardie par la lâcheté universelle, la faction révolutionnaire se rua sur le Quirinal, menaçant de porter jusque sur Pie IX lui-même le poignard qui avait égorgé son ministre. À huit jours de là enfin, le souverain pontife était réduit à quitter la nuit en fugitif une capitale où tout son crime, deux années durant, avait été de ne vouloir régner qu’en consolateur et en père !

Avec M. Rossi finit à Rome l’ère, commencée six mois auparavant, du gouvernement constitutionnel. L’épreuve que bien tard déjà il avait tentée était-elle réalisable ? A ne considérer que la grandeur de son courage et l’étendue de ses lumières, on est porté à répondre que oui ; mais quand de là les regards s’abaissent sur l’indigne pusillanimité du parti modéré, qui le laissa égorger sans se soulever et le venger, on se sent presque au moment de répondre que non. Modérés sans énergie, honte et fléau de l’histoire de la liberté, voilà votre ouvrage ! Votre incurable et criminelle faiblesse est à jamais faite pour amener la perte de tous les pouvoirs et le triomphe de toutes les anarchies.