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l’indigence afflige la ville, surtout à certains momens de l’année. Cela tient à ce que les familles sont nombreuses, et que le travail ne suffit pas pour occuper tous les bras. La mendicité, qui prenait chaque jour une nouvelle extension, vient d’être supprimée à l’aide d’une sorte de taxe des pauvres, dont le paiement n’est pas obligatoire. Des souscriptions particulières ont formé un fonds sur lequel chaque indigent reçoit un secours une fois par semaine, soit pendant toute l’année, soit seulement durant l’hiver. On a même étendu cette assistance aux indigens des communes voisines qui venaient mendier à Bischwiller.

Dans l’indépendance dont ils jouissent, les ouvriers de Bischwiller n’ont pas pris à l’égard des patrons une attitude agressive. Sous le coup de la révolution de 1848, aucun désordre n’a éclaté dans les ateliers ; plus tard, une propagande active produisit une certaine émotion, qui, même en se calmant, a laissé derrière elle les germes d’une défiance inconnue auparavant, et qu’entretenaient jusqu’à ces derniers temps les publications socialistes. Au fond, malgré de trompeuses apparences, la politique ne se mêlait guère aux aspirations qui avaient agité la classe laborieuse ; tout le mouvement des intelligences peut être ramené à cette seule pensée : les ouvriers doivent s’entendre sur leurs besoins et agir de concert pour résister aux vicissitudes dont leur situation est assaillie.

Ce sentiment, ce besoin d’association domine, on peut le dire, parmi les populations laborieuses de nos départemens du Rhin. Le socialisme avait essayé de se faire une arme de leur esprit d’indépendance. Souverainement anti-chrétien dans ses doctrines, parce qu’il ouvrait carrière à tous les instincts matériels, il avait cru assurer son triomphe en évoquant l’image d’un bonheur impossible. L’émotion qu’il avait produite, il la devait à ses vaines promesses. Les événemens de ces derniers mois, à quelque point de vue qu’on les considère, mettent en évidence ce fait général, que les mouvemens des ouvriers de l’Alsace n’appartenaient pas aux agitateurs qui croyaient les diriger depuis quatre ans. Une théorie célèbre et puissante dans la seconde moitié du dernier siècle, celle de l’auteur du Contrat social, n’aurait pas trouvé dans cette contrée un terrain propice. On n’y a jamais agi d’après cette idée, que la société est une cause de dépravation pour l’homme. On a cherché, au contraire, à rapprocher les individus en vue d’obtenir des efforts et des résultats plus considérables. Il suffit de quelques mots pour expliquer comment les exagérations socialistes n’ont pu réussir à dénaturer les habitudes d’association inhérentes à ce sol et à égarer les ouvriers des clans ou des villes manufacturières des bords du Rhin en des voies où l’ordre social eût été en butte à d’incalculables hasards. — Si les travailleurs de Bischwiller, de Wesserling, de Mulhouse, aiment à se rapprocher, à se concerter, ce n’est pas avec l’envie d’of-