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LES POPULATIONS OUVRIÈRES.

grand nombre ne s’est jamais éloigné, même pour aller jusqu’à Colmar. Quoique le travail soit sujet à de plus fréquentes fluctuations dans l’atelier de constructions mécaniques, et que le chiffre du personnel y varie davantage, les trois quarts des ouvriers ont été formés dans l’usine. C’est pour resserrer encore le nœud du clan qu’à la différence de ce qui se pratique à Munster, on a laissé ici aux ouvriers la gestion de leurs intérêts en les rendant maîtres des institutions établies en leur faveur. Découlant d’une idée plus haute, cette méthode donne à l’activité individuelle un rôle à remplir et à la réflexion une arène où se déployer. La pensée de créer par l’association certains moyens de bien-être n’en est pas moins venue ici, comme dans presque tous les grands établissemens de l’Alsace, des patrons eux-mêmes. Le mot association avait à peine cours dans le langage économique, les écoles de Saint-Simon et de Fourrier n’avaient pas encore analysé cette idée pour la transmettre à des sectes plus folles et plus téméraires, que déjà des sociétés de prévoyance et de consommation s’étaient formées dans ces montagnes, loin des regards du monde, sur des bases que consolidait l’appui des patrons. Les ouvriers de Guebwiller reçurent d’abord ces institutions nouvelles avec une indifférence profonde que l’expérience et le développement des esprits ont peu à peu fait disparaître. Une règle dont les avantages sautent aux yeux sert de support à toutes les créations économiques de cette usine : nous voulons parler de l’obligation imposée à chaque ouvrier de se créer, au moyen d’un léger sacrifice sur son gain un pécule pareil à la masse du soldat. Ce capital, dont le chiffre est proportionnel au salaire et qui reste entre les mains des patrons moyennant un intérêt de 5 pour 100, devient une garantie pour les sociétés de consommation à l’égard de leurs membres, et permet d’accorder sans péril un certain crédit.

Une boulangerie commune, plus considérable que celle de Munster, mérite d’abord d’être signalée. Fondée, il y a déjà long-temps, à l’aide de fonds prêtés sans intérêts par la fabrique, qui fournit encore gratuitement un vaste local, les ouvriers la gèrent pour leur propre compte par l’intermédiaire d’un comité délégué par eux. Nul n’est contraint de s’associer à cette boulangerie ; mais presque toute la filature est enrôlée dans l’institution. Les ouvriers constructeurs, qui touchent un plus fort salaire, y sont en minorité ; égarés par un amour-propre absurde, quelques-uns d’entre eux mettent une sorte de point d’honneur à pouvoir se passer de ce moyen d’économie domestique. En 1851, la société embrassait trois cent cinquante-quatre familles, c’est-à-dire, à raison de cinq ou six personnes par famille, dix-huit cents ou deux mille individus.

Les fonds libres de la boulangerie de Guebwiller, accrus chaque année de quelques profits qu’on est forcé de réaliser pour compenser des