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LES POPULATIONS OUVRIÈRES.

et décidé la nomination ou l’échec de tel ou tel candidat. On dit en Alsace que l’intolérance est plus forte du côté du clergé catholique : c’est tout simple, le catholicisme est la souche commune demeurée inébranlable, et son génie traditionnel ne saurait fléchir devant une séparation qui a dans l’histoire une date assez récente. Les masses laborieuses, sans raisonner leurs opinions, participent aux sentimens des ministres de l’un ou de l’autre culte.

Jusqu’à quel point ces griefs, ces sentimens communs à toute la province favorisent-ils des prétentions incompatibles avec les exigences de l’ordre social ? Cette question nous amène à pénétrer plus avant dans la vie de la curieuse population dont nous venons d’indiquer les traits généraux, à rechercher quels sont ses désirs et ses besoins, quel est son état intellectuel et moral, soit au milieu de ces vastes colonies industrielles qui rappellent par tant de côtés les anciens clans écossais, soit au sein des villes manufacturières où, comme à Mulhouse, les individus se pressent plus confusément dans la rude arène du travail.

I. — CLANS INDUSTRIELS. — LE ZORNOFF, MUNSTER, GUEBWILLER, WESSERLING.

Le clan, tel que nous le trouvons établi chez les Highlanders écossais, réveille l’idée d’une association très étroite dont tous les traits, comme on s’y attend bien, ne sauraient se reproduire rigoureusement aujourd’hui dans les montagnes de l’Alsace. Cependant une large part d’intérêts mise en commun parmi les ouvriers, un système d’assurances mutuelles organisé entre eux contre certains risques, les esprits se développant sous des conditions pareilles, les cœurs s’ouvrant aux mêmes influences, la fabrique étant pour tous un cercle au-delà duquel commence l’inconnu, voilà quelques signes qui rappellent les caractères essentiels des clans. La distance même qui sépare les patrons des simples travailleurs s’amoindrit dans la réalité, soit parce que les uns et les autres ont une part dans une même œuvre, soit parce que les premiers, à défaut des sentimens qui les animent, auraient encore, d’après le régime établi, un intérêt direct à se préoccuper du sort de toute la famille ouvrière.

Les clans industriels les plus compactes et les plus nombreux se rencontrent dans le département du Haut-Rhin. Déjà cependant la tendance à former des agglomérations considérables, dont les membres sont rattachés les uns aux autres par des institutions intérieures, se manifeste aussi sur quelques points du Bas-Rhin. Lorsqu’on a dépassé à Sarrebourg ou à Phalsbourg la ligne fortement nuancée qui sépare la région lorraine de la contrée allemande, après avoir traversé la barrière des Vosges, dont l’industrie moderne a percé les flancs, on rencontre près de Saverne, à l’entrée de la vallée de la Zorn, dans la