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Méphistophélès, comme l’appellent les vieux livres populaires. Ceci confirme l’opinion que j’ai déjà émise ; Goethe ne connaissait pas ces livres populaires quand il écrivit son premier Faust. S’il les eût connus, il n’eût pas affublé l’esprit malin d’un masque si sale et si bouffon. Méphistophélès n’est pas un misérable va-nu-pieds de l’enfer, c’est un esprit subtil, comme il le dit lui-même, un démon de haut parage, un noble démon très haut placé dans la hiérarchie souterraine ; en un mot, c’est un homme d’état du gouvernement infernal et un de ces hommes d’état dont on fait les chanceliers de l’empire. Aussi ai-je cru devoir lui prêter une forme qui répondit à sa dignité. De tous temps, ce fut sous la figure d’une jolie femme que le diable aima à se présenter aux hommes, et nous voyons dans le premier livre sur Faust, publié à Leipzig, que ce fut aussi sous cette forme que Méphistophélès venait allécher le pauvre docteur, lorsque le malheureux se laissait aller à de pieux scrupules. Voici les naïves paroles du vieux livre « Quand Faust était seul et voulait se livrer à la méditation des saintes Écritures, le diable se parait de la forme d’une belle femme, allait à lui, l’embrassait, et il n’était sorte d’agacerie qu’il ne lui fit, de telle manière que le savant docteur oubliait incontinent et jetait au vent la parole de Dieu, continuant ainsi d’aller à mal. »

En faisant paraître le diable et ses compagnons sous la forme de danseurs, je suis plus fidèle que vous ne pensez à la tradition légendaire. Qu’il y ait eu déjà, du temps du docteur Faust, des corps de ballet composés de démons, ce n’est point, veuillez le croire, une fiction de votre très dévoué ami ; c’est un fait attesté par des passages de la Vie de Christophe Wagner, qui fut le serviteur et le disciple de Faust. Au seizième chapitre de ce vieux livre, il est rapporté que ce grand pécheur donna à Vienne un somptueux festin qu’embellissaient des diables déguisés en femmes et pourvus d’instrumens à cordes, avec lesquels ils exécutaient une musique délicieuse, tandis que d’autres se livraient à toutes sortes de danses bizarres et impudiques. En cette occasion, ils dansèrent également sous la forme de singes. « Bientôt, est-il dit, arrivèrent douze singes, lesquels formèrent une ronde et se mirent à danser des ballets français, tels qu’on a coutume de les danser présentement en Italie, en France et en Allemagne, et ils sautèrent et pirouettèrent fort agréablement, ce dont les spectateurs furent grandement ébahis. Le démon Auerhahn (coq des bruyères), esprit familier de Wagner, ne se présentait guère sous une autre forme que celle d’un singe. À proprement parler, on le voit débuter par le rôle de singe dansant. « Lorsque Wagner l’évoqua, raconte le biographe, Auerhahn prit la figure d’un singe, et se mit à sautiller en haut et en bas, dansant la gaillarde et autres danses lubriques ; puis il frappait du tympanon, jouait de la