Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les autorités du ciel et de la terre, à cette foi qui comptait sur les dédommagemens de là-haut en échange des privations d’ici-bas, à cette foi du charbonnier enfin, telle que la commandait l’église. Faust commence à penser ; sa raison impie se révolte contre la sainte croyance de ses pères ; il se refuse à errer plus long-temps dans les ténèbres et à croupir dans l’indigence ; il aspire à la science, aux pompes terrestres, aux voluptés mondaines : il veut savoir, pouvoir, jouir ; — pour nous servir enfin des termes symboliques du moyen âge, sa chute s’accomplit. Rebelle à Dieu, il renonce à la béatitude éternelle ; il sacrifie à Satan et à ses pompes terrestres. Cette révolte et la doctrine qui en est l’ame, l’imprimerie a si miraculeusement servi à les propager dans le monde, qu’elles se sont emparées peu à peu non seulement des esprits d’élite, mais de toute la masse des populations ; c’est pour cela peut-être que cette légende de Faust a un attrait si mystérieux pour nos contemporains ; c’est parce qu’ils y voient représentée, et avec la clarté la plus naïve, la lutte dans laquelle ils sont engagés eux-mêmes : cette lutte des temps modernes où se trouvent face à face la religion et la science, l’autorité et la discussion, la foi et la raison humaine, l’humble résignation à toutes les souffrances et la soif effrénée des joies de ce monde ; lutte à mort, au bout de laquelle nous finirons par tomber dans les griffes du diable, à l’instar de ce pauvre docteur Faust, natif du comté d’Anhalt ou de Kundlingen, en Souabe.

Oui, notre magicien est souvent confondu avec l’imprimeur ; cela se voit surtout dans les jeux de marionnettes, qui placent toujours le héros à Mayence, tandis que les livres populaires lui assignent pour domicile la ville de Wittenberg. Et une chose bien remarquable encore, c’est qu’ici la demeure de Faust, Wittenberg, se trouve être en même temps le berceau et le laboratoire du protestantisme.

Ces jeux de marionnettes dont je parle n’avaient jamais été imprimés ; il y a très peu de temps seulement qu’un ouvrage de cette nature, rédigé sur les copies manuscrites, vient d’être publié par un de mes amis, M. Charles Simrock. Cet ami, avec lequel j’ai suivi, à l’université de Bonn, les cours d’archéologie et de prosodie allemandes de Guillaume Schlegel, tout en vidant mainte chope de bon vin du Rhin, se perfectionna de la sorte dans les sciences subsidiaires, qui plus tard, pour la publication de l’ancien jeu de marionnettes, lui furent d’une si notable utilité. La manière dont il a complété les lacunes et choisi les variantes témoigne d’une grande connaissance des traditions et en fait un travail méritoire ; quant au parti qu’il a su tirer du personnage bouffon, cela prouve qu’il a fait, et probablement aussi en suivant ce même cours de Guillaume Schlegel, d’excellentes études sur les polichinelles allemands. Comme la pièce s’ouvre bien ! Quel excellent monologue