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mettaient aussi à contribution un autre ouvrage non moins merveilleux sur le famulus du docteur Faust, Christophe Wagner, dont les aventures et les facéties ont été plus d’une fois attribuées à son illustre maître. L’auteur, qui publia son livre en 1594, et d’après un original espagnol, à ce qu’il prétend, se nomme Tholeth Schotus. Si cet ouvrage est réellement traduit de l’espagnol, ce dont je doute, ce serait un indice qui pourrait expliquer l’étrange conformité de la légende de Faust avec celle de don Juan.

Faust a-t-il réellement existé ? Comme maint autre faiseur de miracles, Faust a été réduit à l’état de simple mythe. Il lui est arrivé pis encore : les Polonais, les infortunés Polonais l’ont réclamé comme leur compatriote, et ils soutiennent qu’aujourd’hui encore il est connu chez eux sous le nom de Twardowski. Il est vrai, les recherches les plus récentes le prouvent, que Faust a étudié la magie à l’université de Cracovie, où cette science, chose singulière, était librement et publiquement enseignée ; il est vrai aussi que les Polonais de ce temps-là étaient de grands sorciers, ce qu’ils ne sont plus aujourd’hui ; mais notre docteur Johannes Faustus est une nature si consciencieuse, si vraie, si profonde, si naïve, si altérée de l’essence des choses et même si érudite jusque dans la sensualité, que ce ne peut être qu’une fable ou un Allemand. Cependant il n’y a pas à douter de son existence, les personnes les plus dignes de foi nous donnent des renseignemens sur lui : par exemple, Johannes Wierus, l’auteur du fameux livre sur les sorciers ; puis Philippe Mélanchton, le frère d’armes de Luther ; enfin l’abbé Trithein, un grand savant qui s’occupait aussi de pratiques occultes, et qui, par pure jalousie peut-être, soit dit en passant, a cherché à décrier Faust en faisant du docteur un charlatan vulgaire. D’après ces témoignages de Wierus et de Mélanchton, Faust était né à Kundlingen, petite ville de la Souabe. Je dois faire observer ici que les livres fondamentaux dont je parlais tout à l’heure ne sont pas d’accord sur ce point. À en croire le vieil ouvrage publié à Francfort, Faust serait né à Rod, près de Weimar, d’une famille de paysans. Dans la version de Hambourg par Widman, il est dit au contraire : « Faust est originaire du comté d’Anhalt, et ses parens, qui étaient de pieux paysans, habitaient la marche de Soltwedel. »

C’est une erreur très répandue dans le peuple que celle qui identifie Faust le magicien et Faust l’inventeur de l’imprimerie, erreur bien expressive et qui renferme un sens profond : le peuple a identifié ces deux personnages, parce qu’il sentait confusément que la direction intellectuelle, dont les magiciens étaient le symbole, avait trouvé dans l’imprimerie son plus terrible instrument de propagande. Cette direction intellectuelle n’est autre chose que la pensée même dans son opposition à l’aveugle credo du moyen-âge, à cette foi qui tremblait devant