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MÉPHISTOPHÉLA


ET


LA LÉGENDE DE FAUST.





M. Lumley, directeur du Théâtre de la Reine, à Londres, m’avait prié d’écrire un ballet pour la scène qu’il dirige ; c’est pour me conformer à son désir que j’ai composé le poème que voici, qui n’a pas été représenté, — d’abord parce que la saison pour laquelle on l’avait annoncé ayant été remplie par le fabuleux succès du rossignol suédois, toute autre exhibition à ce théâtre devenait superflue, — et puis parce que le maître de ballets, par esprit de corps de ballet sans doute, fit naître avec toute la malveillance imaginable des obstacles et des retards sans fin. Lorsque j’eus le plaisir de remettre à M. Lumley le manuscrit de mon poème, nous causâmes, tout en prenant le thé, de l’esprit de la légende de Faust et de la manière dont je l’avais conçue ; le spirituel impresario m’engagea alors à rédiger les principaux détails de notre conversation, afin d’en enrichir plus tard le libretto qu’il voulait offrir au public le soir de la représentation. C’est encore pour obéir à. cette invitation que j’ai écrit la lettre (qu’on lira plus loin) à M. Lumley sur le Faust historique comme sur le Faust mythique ; je n’ai donné dans cette lettre que des indications insuffisantes, et je ne puis me dispenser de résumer d’abord en peu de mots le résultat de mes recherches pour tout ce qui concerne l’origine et le développement de la légende, de la fable de Faust.

Ce n’est pas, à proprement parler, la légende de Théophile, sénéchal de l’évêque d’Adama en Sicile, mais un vieux drame angle-saxon sur cette légende, qui doit être considéré comme le fondement de la fable de Faust. Dans le poème de Théophile, poème en bas allemand que nous possédons encore, on remarque des archaïsmes saxons ou anglo-saxons, espèces de mots pétrifiés, de locutions fossiles, preuve certaine que ce poème n’est que l’imitation d’un original plus ancien perdu dans le cours des âges. Cet original doit avoir encore existé quelque temps après la conquête de l’Angleterre par les Normands, car il a été manifestement imité par le poète français Rutebeuf, et il a paru au théâtre sous la forme d’un mystère dont M. Charles Magnin a parlé avec détail, il y a sept ans environ, dans le Journal des Savans. Quand le poète anglais Marlowe écrivit son Faust, ce mystère du troubadour Rutebeuf ne lui fut pas inutile ; Marlowe emprunta