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toute hâte à son logis. Une lettre l’attendait : son père était mort il y avait huit jours, à cinq heures du matin, paisible et joyeux, après une douce agonie, en prononçant le nom de son fils absent. Les uns et les autres, nous avons tous trouvé à notre porte, en revenant de quelque travail ou de quelque folie, la lettre cachetée de noir, et nous nous souvenons de cette heure d’étonnement, de pitié, de douleur, de reconnaissance, de respect ; il vous semble alors que ce père qui vous aimait tant, et qui n’est plus, vous ne l’avez pas assez aimé. Heure terrible, où la mémoire et la reconnaissance, venant en aide à vos respects, vous montrent dans un vif relief tous les biens que vous avez perdus !

Peu de temps avant sa mort, M. Jean Monteil, songeant à son fils absent et se rappelant ce mot de l’Écriture : Vœ soli ! — malheur à celui qui vit seul ! — avait songé à le marier, et il avait fini par rencontrer une douce et charmante créature, que l’on eût dit faite à l’image de feu Mme Monteil. L’histoire de ma femme est simple et touchante, et j’ai grand’peur de la gâter. « Elle et moi, dit M. Monteil parlant de cette femme aimée entre toutes, le ciel nous avait faits l’un pour l’autre ; elle avait pour armoirie une aiguille, et moi j’avais une plume en sautoir de cette aiguille diligente. » En effet, la jeune et très jolie Mme Monteil ne remontait pas plus haut en sa généalogie qu’à son grand-père, maréchal… ferrant de son métier, mais sans contredit le plus riche et le plus heureux des maréchaux de France. Il vivait, il forgeait aux temps illustres de M. le maréchal-général, vicomte de Turenne, et de M. le duc de Luxembourg. Il s’appelait le petit Rivié, lorsqu’un jour où il était en train de ferrer ses chevaux, il eut la chance heureuse de tirer d’affaire un très beau cheval ; le cheval appartenait à un colonel, et le colonel fit obtenir au petit Rivié l’entreprise des remontes du Royal-Dragons. Bref, à force de fournir des chevaux aux dragons, le petit Rivié fit son chemin dans le monde ; il devint peu à peu le grand Rivié, et quand il eut trouvé plusieurs millions sous le pied de ses chevaux (en dépit du proverbe), il voulut revenir au pays natal, à Severac-le-Châtel. Severac est une façon de petite ville en Rouergue, autrefois chef-lieu de la duché d’Arpajon, ville de peu de fumée et de peu de bruit, dans laquelle avait débuté, petit compagnon, ce même Rivié le grand ; si habile à battre le fer quand le fer était chaud. Comme il passait devant la forge de son ancien maître, — hélas ! le fer était froid à demi, le soufflet était sans souffle, et l’enclume sans marteau, — il advint que la chaise du grand Rivié se brisa net au milieu de l’essieu. Grand émoi dans la forge ! Le maître de céans était seul. Que fait Rivié ? Il met habit bas, et il forge… à la façon des cyclopes dans l’Iliade ! Alors le vieux forgeron, réveillé par ce marteau d’enfer qui lui rappelait l’accent vibrant des jeunes années : — Par