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soit que, l’honneur étant sauf, l’infortuné tombe à plaisir dans les abîmes du vice, de la paresse, de l’inconduite. On a vu les plus grandes maisons et les renommées les mieux méritées attristées ou compromises par ces misères inévitables, par ces hontes auxquelles toute la prudence humaine ne peut rien corriger. Par exemple, voyez ce Fontenilles (c’est le nom du troisième Monteil). Enfant, il apprend à peine un peu de latin, qu’il oublie à boire, comme un sonneur, en compagnie des cordeliers. À seize ans, il s’engage dans un régiment provincial ; soldat en 1792, rien ne lui était plus facile que d’arriver aux grandes choses ; l’heure était bonne à coup sûr, et parmi les gens de son âge quelle ardeur à partir !

… J’ai d’une lieutenance
Tout récemment demandé la faveur ;
Mille rivaux briguaient la préférence,
C’est une presse. En vain Mars en fureur
De la patrie a moissonné la fleur.
Plus on en tue et plus il s’en présente.
Ils vont trottant des bords de la Charente,
De ceux du Lot, des coteaux champenois
Et de Provence et des monts francomtois,
En botte, en guêtre et surtout en guenille,
Tous assiégeant la porte de Crémille
Pour obtenir des maîtres de leur sort
Un beau brevet qui les mène à la mort.

Maître Fontenilles n’avait pas tant de hâte ; il se fit mettre en prison, il en sortit ; il eut une dispute avec le régiment de Royal-Vermandois, qui voulut le mettre en pièces. À chaque disgrace, il revenait au colombier, comme font ces parasites des familles pauvres qui ne songent qu’à faire régulièrement leurs quatre repas par jour. Fruges consumere nati ! La république heureusement se contenta de ce Fontenilles, et elle en fit… un tambour. Il alla ainsi, tambour battant, jusqu’à Nice, et ses chefs se plaignaient déjà de ses fantaisies. Un matin, comme il était en ses jours de flânerie, il arriva que notre tambour poussa sa reconnaissance imprudente au-delà d’Oneille, et non loin de Gênes la superbe. Il fut arrêté comme déserteur sans bagages, et conduit devant ses juges, Salicetti et Robespierre le jeune. Il se défendit comme un beau diable ; on lui fit grace, on le renvoya dans ses foyers, où il revint en haillons. Pendant vingt ans que ce héros se reposa de sa gloire, il dévora, sans rien faire, le blé de cette humble métairie ; pendant vingt ans, il se promena de la vallée à la plaine et de la plaine au vallon, à charge à tous, inutile à lui-même, sans souci de la veille, et pour le lendemain sans inquiétude. Tout inutile que soit cet homme, il y a cependant un salutaire enseignement à retirer de sa mort. Voici la note que je retrouve à son propos dans les papiers de M. Monteil :