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loin de moi. » L’aîné des Monteil n’en savait pas si long ; il eut recours à une ruse qui consistait à porter une cocarde tricolore au dedans et blanche au dehors. Il en était quitte pour retourner sa cocarde du bon côté, du côté où souffle le vent, du côté des forts, des puissans, des vainqueurs. « Ayez le vent en poupe, et vous trouverez toujours de bonnes gens pour monter dans votre barque. »C’est un mot de Tacite : Ubi sis ingressus, studia et ministros. Quand enfin sa ruse eut été découverte, M. l’aîné se cacha dans le plus humble réduit de sa basse-cour. Un aîné, un colonel au milieu des poules effarouchées ! C’est comme on a l’honneur de vous le dire, et trop heureux fut-il d’échapper au sort de Charriè et de cultiver en paix, au milieu des guerres de l’empire, les deux pommes de terre en crédit dans son canton, la noire et la jaune, le raisin blanc et le raisin noir, excellens raisins à brasser du vin de Gévaudan, s’il faut l’appeler par son nom…

Et quo te nomine dicam,
Rhetica ?…


Douce piquette ! elle est vin d’Aï aux rudes gosiers des régnicoles de Marvejols.

Ce que c’est que de nous ! En dépit de ces hauts faits, notre aîné finit par dépérir comme un autre homme. À soixante ans qu’il avait, ou plutôt à soixante ans qu’il n’avait plus, il ajouta un rhume, au rhume un catarrhe, et il mourut muni de tous les sacremens de l’église, ce qui n’était arrivé encore à aucun chevalier errant, pour finir comme finissait je ne sais quel roman espagnol.

Quant au puîné de cet aîné des Monteil, toucher à cette biographie, à proprement dire c’est remuer un nid de guêpes, et jamais que je sache l’aveugle déesse de la fortune ne traita ses jouets d’une façon plus incivile. On appelait ce gentilhomme Caveyrac, du nom d’un fief qui était un peu le fief des brouillards.

Et le doux Caveyrac et Trublet et tant d’autres…

C’est un nom de la satire : le Caveyrac de la satire était un bandit, mais un bandit plein de foi, qui avait eu le malheur de faire l’apologie de la Saint-Barthélemy, et certes Jean Monteil ne savait pas la honte attachée à ce nom, lorsqu’il en décorait M. son deuxième fils. Caveyrac était ce qu’on appelle un bon vivant, un plaisant. La première plaisanterie de Caveyrac fut de dédier sa thèse en latin à la ville de Rhodez : Almoe parenti ! et l’ingrate ! — elle a oublié sans doute ce titre d’honneur. Cette plaisanterie annonçait en Caveyrac mille bonnes farces plus plaisantes celle-ci que celle-là. Toutes ces promesses furent tenues, et un peu au-delà. Quelle farce il a faite à ce vieil orfèvre qui épousait une jeune femme sans le consentement de Caveyrac !