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belle de toutes les filles à marier, Jean Monteil, qui pouvait prétendre à des filles plus riches et d’un rang plus élevé, se décida à demander en mariage l’ingénue et la belle Marie Mazet.

Ainsi la voilà mariée… On la voyait peu, tant qu’elle fut une jeune fille ; à peine mariée, on ne la vit plus. La seule et unique fois qu’elle parut en public, ce fut un matin, dans un château voisin, où, d’une voix douce et fraîche comme son visage, elle chanta l’aubade à la porte nuptiale d’une nouvelle mariée, et depuis ce jour de grande exception on ne l’entendit plus chanter qu’au berceau de ses enfans. Elle n’a reçu qu’une visite, elle n’a fait qu’une seule visite en toute sa vie, et ce furent encore deux grands événemens qui vinrent compléter les deux grands événemens de son enfance et de sa jeunesse. Il arriva donc que le nouveau gouverneur de Rhodez, étant en train de faire ses visites de bon avènement aux principaux de la ville, se fit annoncer chez Mme Monteil. La dame était dans sa cuisine ; c’était autrefois la pièce habitée de la maison. La servante du logis, voyant ce grand seigneur qui demandait madame, le fit entrer dans l’endroit où madame se tenait de préférence, et ce fut à grand’peine si monseigneur trouva une chaise où s’asseoir. Vous jugez de l’embarras, et si la maîtresse de céans fut mal à l’aise jusqu’au moment où son mari, entendant ce remue-ménage, vint à son secours. — Au contraire, ô misère ! il fallut une autre fois que ce fût Mme Monteil qui fit une visite à la princesse de Rosbac. La princesse de Rosbac !… En vain la pauvre femme prie et supplie, il faut obéir. Donc elle se fait belle, elle prend ses jupes et son visage des dimanches ; elle arrive enfin émue et tremblante, et la princesse la fait asseoir à ses côtés, l’encourageant à parler avec mille bonnes graces. Vains efforts ! l’humble bourgeoise ne sut que dire à cette grande dame, et elle rentra dans sa maison, délivrée enfin de sa quatrième et dernière aventure. Ici, en effet, s’arrêtent les grands événemens qui devaient signaler ces heureuses et paisibles journées. Après cette visite à la princesse de Rosbac, la jeune femme se dit à elle-même qu’elle avait définitivement obéi à toutes les exigences du monde, et désormais, tout entière à ses devoirs de mère de famille, elle resta cachée, obscure, timide, humble ; on ne la vit plus jamais au dehors, sinon pour aller à l’église ; à peine on l’entendait à l’intérieur de ses domaines, et pourtant elle était la maîtresse absolue dans son gouvernement. Ce qu’elle disait était un ordre, ce qu’elle faisait était bien fait ; elle réglait toutes choses, elle entrait dans les moindres détails ; la première, elle était debout le matin ; la nuit venue, et quand tout dormait autour d’elle, elle se couchait enfin. Un quart d’heure avant que la cloche du collège appelât ses enfans dans leur classe, elle faisait déjeuner son petit monde : des fruits en été, de la galette en hiver, du pain de fleur de seigle en tout temps ; ajoutez à ce déjeuner frugal un doigt de vin, et tout était dit. Elle déjeunait