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de son père, qui va, le premier, suivi de ses garçons, pendant que la mère arrive ensuite ornée de ses trois filles. À l’église, chacun avait sa place réservée. Au milieu de leurs écoliers agenouillés se tenaient les frères de la doctrine chrétienne ; à l’autre extrémité de l’église et sur des bancs à dossiers, sous les fleurs de lis, la fleur du printemps et de la royauté de la France, se tenaient gravement MM. les conseillers au présidial, MM. les officiers des eaux et forêts, MM. les officiers municipaux en longues robes rouges bordées de noir. Entre ce banc vraiment royal et ces frères des écoles, sur les dalles, se tenait le populaire ; si d’aventure un des petits Monteil avait oublié ses Heures, le père, qui était assis sur les hauts sièges, passait son livre à l’enfant oublieux, et le livre, recouvert d’un chamois violet, arrivait, de main en main, à son adresse.

Nous n’avons pas encore dit au juste la profession de messire Jean Monteil. C’est une des lois de tout écrivain qui veut tenir en éveil son lecteur de garder toujours quelque chose en réserve. Il était, le croirez-vous, races futures ? conseiller du roi en sa qualité de commissaire aux saisies réelles, c’est-à-dire qu’il était chargé de l’administration des biens que retenait dame justice. Or cette charge importante ne valait guère moins de quarante mille livres, six fois le prix d’une charge de conseiller au présidial. Eh bien ! (toute grandeur a ses peines) ce conseiller du roi se vit forcé d’intenter un procès à MM. les conseillers au présidial, qui l’empêchaient de s’asseoir sur le banc réservé aux magistrats de la cité. L’affaire, portée au parlement de la province, ne dura guère que six ans ; tous les grands avocats du Rouergue y prirent la parole, et finalement Jean Monteil et le bon droit l’emportèrent haut la main. Voilà par quelle suite de dits et de contredits il était parvenu à endosser la robe rouge et noire. Aux processions, il se contentait d’un habit écarlate, et son privilège lui ouvrait les rangs des frères jacobins, à la droite même du frère porte-croix. Autre privilège de M. le conseiller du roi : il avait une stalle haute chez nos frères les chartreux ; on l’encensait, lui et monsieur son fils, et pas un chartreux n’eût osé se permettre la distraction de ce prêtre de Cybèle dont parle Diogène Laërce en ses livres : « Ce prêtre était si distrait, qu’il mettait souvent l’encens à côté de l’encensoir. » Je connais plus d’un critique aussi distrait que ce maladroit encenseur.

Outre ces honneurs rares et signalés qui suffisaient et au-delà à ses modestes ambitions, M. Jean Monteil avait conquis, avait usurpé un certain veto qui devait gêner quelque peu le système des armées permanentes. Il faut entendre raconter à M. Monteil lui-même la série et l’histoire de ces privilèges.

« Mon père, dit-il, qui était l’ami de tant de gens, n’avait garde de négliger