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REVUE DES DEUX MONDES.

THE DAUGHTER OF NIGHT (la Fille de la Nuit), par M. W.-S. Fullom[1]. — Si l’Angleterre est le pays où se produisent chaque année le plus d’œuvres d’imagination, c’est aussi celui où de pareilles œuvres relèvent le moins du système de l’art pour l’art. Chez nos voisins d’outre-Manche, pas de roman qui n’ait son but politique, religieux ou philanthropique, et la plupart du temps ces trois volumes si proprets, dont le papier est si fin, la reliure si coquette et dont toute l’apparence semble trahir quelque chose d’élégant et presque de frivole, ces trois volumes renferment une plaidoirie ardente, une sorte de prêche. Vous croyez à une histoire, à un conte qui vous doit distraire pendant un certain nombre d’heures, et vous rencontrez ou un sermon ou une thèse. C’est peut-être cette prétention philosophique ou religieuse qui a perdu le roman proprement dit en Angleterre, car à l’heure qu’il est, malgré le déluge de novels dont le public de Londres est encore journellement assailli, le novel traditionnel, créé par miss Burney, miss Austin et tant d’autres, porté à sa suprême puissance et entraîné en même temps hors de sa voie pour la première fois par Walter Scott, — le novel traditionnel est mort. Pour que Bulwer, Disraëli et d’autres écrivains d’un talent incontestable se soient reconnus impuissans à le relever comme genre, il faut qu’il soit bien radicalement frappé, — ce qui du reste n’empêche nullement, ainsi que chacun peut le constater, le succès très légitime et très grand de certaines productions isolées, de certains individus échappés à la ruine d’une espèce qui semble à jamais éteinte. La faveur avec laquelle on a accueilli le nouveau livre de M. Fullom prouve une fois de plus la vérité de ce que nous disons, et certes il ne nous viendra point à l’esprit de nier, quelle que soit la forme choisie par un homme de talent, par un esprit distingué, qu’il ne sache, — à titre d’exception surtout, — la faire agréer.

L’ouvrage de M. Fullom, dont jusqu’ici nous ne connaissons que le roman intitulé : the King and the Countess, repose sur une donnée très simple ; ce n’est, à vrai dire, que l’odyssée d’une jeune fille orpheline née au fond d’une mine de charbon du Durham, et dont toute la jeunesse a langui dans l’atmosphère empoisonnée d’une houillière. De là son nom de Fille de la Nuit, de là aussi son originalité. Au milieu de détails infiniment curieux en eux-mêmes sur l’existence des mineurs, et de plus servant à merveille aux incidens du drame, cette pauvre Millicent a je ne sais quelle grace qui vous charme. Il va sans dire que l’ouvrage de M. Fullom renferme aussi sa thèse, et lui-même, dans sa préface, se charge d’en prévenir ses lecteurs ; mais le récit dans lequel il enchâsse ses plus sérieuses tendances a tant d’attrait, les incidens par lesquels il cherche à appuyer ses convictions sont si émouvans, que les esprits les moins préoccupés de la solution de certaines questions sociales et politiques s’y laisseront prendre, et, dût-on moins goûter la partie plus grave de ce livre, on gardera toujours le souvenir de Millicent Kennel, de sa beauté, de ses infortunes et de son intéressante destinée.


A. DUDLEY.



V. de Mars.
  1. 3 vol. Londres, chez Henry Colburn.