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les partis, qui a parlé et voté contre le fameux bill ecclésiastique, qui a parlé et voté contre la motion de M. Roebuck, relative à la politique de lord Palmerston, qui a parlé et voté contre le maintien des lois de protection commerciale. Rien n’est moins certain, et c’est là très probablement une des raisons qui ont engagé lord John Russell à se tourner du côté des radicaux. Ils lui ont répondu comme nous l’avons dit. La première flatterie, un peu brutale comme toutes celles qu’est capable de faire le parti radical, lui est venue de M. Roebuck, qui, s’adressant à ses électeurs de Sheffield, a attaqué sans pitié le cabinet tout entier, et n’a fait exception que pour lord John Russell. Le discours de M. Roebuck pouvait se résumer ainsi : Que les ministres partent, afin que nous prenions leurs places, et que lord John Russell reste, afin qu’il soit notre chef ! Tel a été le manifeste des radicaux de la vieille école. L’école de Manchester, ou autrement dit l’école des libres échangistes et des cobdénites, a fait aussi le sien dans deux meetings, tenus l’un à Leeds, l’autre à Manchester. L’orateur de Manchester a été M. Bright, l’un des membres les plus importans de ce parti, et son discours a été une série de flatteries à l’adresse de lord John Russell, qu’il a nommé l’homme d’état le plus considérable de l’Angleterre. Les radicaux n’y mettaient pas tant de façons, lorsque tout récemment encore ils se répandaient en injures contre les lordlings. Quoi qu’il en soit, ils sont prêts à devenir ministres, et ils sentent déjà la nécessité du décorum officiel ; c’est là sans doute ce qui explique leur changement de langage. S’ils entrent au ministère, c’est, il ne faut pas se le dissimuler, toute une révolution politique qui va s’opérer, c’est le triomphe du principe de réforme qui va être hâté par le gouvernement. Depuis la célèbre réforme opérée par la célèbre défection de Robert Peel, aucun fait plus important ne se sera accompli. Chez nous, un pareil événement entraînerait des catastrophes. En Angleterre, malgré les menaçantes complications actuelles, tout s’accomplira pacifiquement ; rien ne sera changé, il n’y aura que quelques radicaux de plus.

Au sein du pays, l’agitation continue toujours ; les craintes d’une invasion bien loin de se calmer, ont redoublé. Les brochures, les statistiques militaires abondent ; on remet sur le tapis la brochure vieille d’un an déjà de sir Francis Head, intitulée Defenceless slate of England ; on la discute, on la contrôle. Un officier distingué de l’armée anglaise, le colonel Chesney, vient de publier une brochure, qui a fait une grande sensation, sous le titre d’Observations sur l’état présent et futur de l’armée anglaise. Les journaux alignent des chiffres, calculent la portée des fusils anglais et des fusils français, se livrent à des enquêtes militaires sans fin. Des parallèles entre l’armée anglaise et l’armée française sont tracés chaque matin, et en vérité les Anglais n’y mettent aucune vanité nationale, car, contrairement à leur ancienne habitude, on pourrait croire, — par le sombre tableau qu’ils tracent des forces militaires de la France, de la dextérité, de l’adresse de nos soldats et surtout des tirailleurs de Vincennes, qui leur inspirent une sorte de terreur fantastique, — qu’un seul régiment français est capable de mettre en déroute l’armée anglaise tout entière. La marine n’est pas non plus oubliée. Ils semblent craindre qu’elle ne soit pas capable de résister. Ils trouvent des défauts à leur marine à vapeur, et ils en attestent le récent désastre de l’Amazone. Ils pensent déjà avoir à se mesurer avec l’Europe tout entière, et calculent le nombre de soldats que le continent