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fait le champion de cette littérature, répondait à son contradicteur : « Eh quoi ! M. de Metternich n’est point de votre avis ? — Je le crois, répondait M. Nisard ; M. de Metternich n’est aussi peu de mon avis en littérature que parce qu’il ne l’est pas du tout en politique. Qu’a-t-il à faire de souhaiter à la France une littérature qui préserve les ames, élève les pensées et entretienne la virilité des caractères ? » C’était probablement des deux côtés une spirituelle calomnie contre l’ancien chancelier d’Autriche. La réalité est que la littérature facile a fait son œuvre pressentie par M. Nisard ; elle a déposé son bilan : d’un côté, il n’y a rien ; de l’autre, il y a la fortune intellectuelle et morale de la France gaspillée et perdue.

Quand nous nous obstinons à signaler les côtés par où l’intelligence moderne se montre en défaillance, c’est que le moment est venu peut-être pour les esprits élevés et justes de secouer cette corruption qui a fini par engourdir la littérature contemporaine. L’intérêt intellectuel de notre pays y est attaché. Le premier moyen sans nul doute, c’est la vigilance morale, et en même temps, pourquoi ne le dirions-nous pas ? il ne serait pas assurément sans utilité de replacer matériellement la littérature dans une situation normale. Une des choses qui ont le plus contribué depuis long-temps à fausser cette situation en altérant toutes les conditions dans lesquelles peuvent se produire avec fruit les œuvres de l’esprit, c’est la contrefaçon dont la Belgique est, comme on le sait, le foyer. La contrefaçon est fort menacée aujourd’hui, puisque la France a signé ou est envoie de signer avec la plupart des puissances des traités qui garantissent l’inviolabilité de la propriété littéraire. Cependant plus la contrefaçon se sent menacée, plus elle s’agite dans son foyer même pour empêcher le gouvernement belge d’en venir honorablement à la reconnaissance d’un droit. Les polémiques et les brochures se succèdent. Il en est, il est vrai, comme celle de M. Charles Muquardt, d’un esprit conciliant et juste, qui reconnaissent la moralité de la destruction de ce singulier genre d’industrie ; il en est d’autres qui poussent vraiment jusqu’au lyrisme l’amour intéressé de la contrefaçon qu’on appelle galamment la réimpression. Peu s’en faut qu’on n’y voie l’œil de la civilisation ; tout au moins la contrefaçon sert-elle merveilleusement les intérêts de la France elle-même. La preuve évidente, c’est que depuis que la fabrication belge existe, les exportations de livres français ont été sans cesse en croissant. Qu’y a-t-il à dire à ceci, si ce n’est que très probablement elles se fussent accrues davantage encore sans la contrefaçon ? En dehors d’une telle considération d’ailleurs, la vérité est que l’industrie belge représente là, à nos portes, sous nos yeux, la violation permanente d’un droit. Ce droit, nous n’irons point assurément plonger dans les profondeurs métaphysiques pour le démontrer. Il y a quelque chose de mieux, c’est le sentiment universel qui attribue à chacun l’œuvre de son esprit comme de ses mains, et qui flétrit d’un nom déshonnête une spéculation qui consiste à faire une concurrence peu loyale à une nation, avec quoi ? avec les produits mêmes de cette nation, gâtés, mutilés et défigurés !

Une des imaginations les plus bizarres, c’est de transformer la réimpression, comme on la nomme, en un instrument de civilisation, de propagande intellectuelle, et de créer une sorte de droit des peuples à la contrefaçon. D’abord,