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et les autres ont contribué principalement à la direction intellectuelle et morale de notre temps. L’auteur de l’Histoire de la Restauration, dont, nous ne savons par quelle secrète ironie, deux volumes nouveaux paraissent aujourd’hui, ne serait pas probablement le dernier à nous fournir d’utiles révélations, M. de Lamartine pourrait nous enseigner comment les révolutions doivent mourir en nous montrant comment elles naissent, comment elles s’alimentent, quelles idées elles propagent, quelle activité sinistre elles communiquent aux esprits pervers, et quelles redoutables angoisses elles créent pour la société tout entière.

Les événemens politiques, en effet, n’ont point en eux-mêmes leur raison d’être ; ils trouvent leur explication dans le mouvement moral et intellectuel qui les prépare et les favorise. C’est ce qui fait qu’en dehors même de la sphère purement politique il s’attache toujours un si sérieux intérêt au travail des esprits, aux retours qui s’opèrent, aux lumières qui se font, à l’étude de tous les phénomènes de la pensée en un mot. Quelles erreurs peuvent se glisser par l’intelligence dans la vie réelle ? Quelles défaillances morales engendre l’abus des abstractions et des creuses chimères ? quelle série de réactions et d’oscillations amène l’affaiblissement graduel des plus strictes notions du juste et du vrai ? Quelque chose de cette histoire apparaît dans une œuvre récente, — lord Palmerston, l’Angleterre et le Continent, — qui, bien que d’un homme d’état étranger, M. le comte de Ficquelmont, et bien que se rapportant en apparence à des questions de diplomatie, n’en est pas moins un ensemble de considérations élevées sur l’état présent de l’Europe, sur ses destinées morales et politiques. Diplomate autrichien, ancien chef du cabinet de l’empire pendant cette fatale année 1848, M. de Ficquelmont rend un singulier hommage à notre pays en écrivant son livre dans notre langue. Bien mieux : ses considérations sur l’Europe tournent, sans effort le plus souvent, en considérations sur la France, et reposent sur l’unité fondamentale des révolutions contemporaines, dont notre pays a le malheur d’être le promoteur toujours enthousiaste et toujours le premier châtié. C’est ainsi que, dans l’esprit de l’auteur comme dans l’esprit de tous ceux qui voient de haut, la question qui se débat n’est plus une question spéciale d’organisation politique pour un seul peuple : c’est une crise plus générale, où chaque pays a son rôle dans les conditions qui lui sont propres ; c’est la crise de la civilisation européenne. Il s’agit de savoir à quoi le monde continuera de croire, quels principes resteront debout, à quelle direction morale nous nous fixerons. Il s’agit de savoir si tous les vieux et puissans élémens qui ont pétri les sociétés de l’Europe sont épuisés, et si de notre horizon pâli la lumière de la civilisation va se reposer sur d’autres mondes près de sortir de l’océan. Le livre de M. de Fiequelmont laisse éclater en certains passages le sentiment de ces grands problèmes de la destinée moderne.

Quand l’honorable diplomate autrichien s’arrête à lord Palmerston et place même son nom au frontispice de son ouvrage, il est évident que ce n’est point l’homme qu’il met en scène : ce qu’il considère, c’est l’attitude assignée par l’ancien chef du Foreign-Office à son pays au milieu des révolutions européennes ; c’est ce rôle, étrange par sa grandeur même, attribué par lord Palmerston tout sujet anglais dans le monde, et résumé dans ce mot plein d’orgueil :