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membres du parlement, qui ne pouvaient manquer, par esprit de corps et par intérêt personnel, de s’opposer aux innovations et de défendre les abus, et, de l’autre, tous les hommes que l’on savait disposés, par la tournure de leur esprit, à perdre le temps en discussions et en paroles. Cette commission et celles qui lui furent successivement adjointes poursuivirent leurs travaux sans interruption de 1665 à 1673, et cette fois encore, pour mener à bonne fin une si grande entreprise, il fallut, de la part de Louis XIV et de ses ministres, une volonté de fer, car la, magistrature et les parlemens opposèrent sans cesse une résistance sourde, et défendirent pied à pied des abus qui faisaient leur richesse et leur force. M. Chéruel fait remarquer à cette occasion combien la plupart des historiens se sont trompés en prenant parti pour la magistrature contre le monarque, et combien Lemontey, entre autres, s’est montré injuste en appelant l’ordonnance de 1661 le manifeste du despotisme. Jamais ordonnance ne fut plus largement réformatrice, et si, en aussi grave matière, il était permis d’invoquer l’autorité du rire, nous dirions, pour notre part, que les plaideurs de Racine, joués l’année suivante, en sont la justification la plus haute et la plus sérieuse. Louis XIV, par cette ordonnance, n’attentait pas plus à l’indépendance de la magistrature que Racine, par sa comédie, n’attentait à la dignité de la justice. Le roi, comme le poète, ne frappait que sur la chicane, et la comédie, aussi bien que l’ordonnance, montrent quels en étaient alors le ridicule et les abus. En effet, que veut le roi dans son édit ? « Rendre l’expédition des affaires plus prompte par le retranchement de plusieurs délais et actes inutiles. » Que veut Racine dans sa pièce ? Montrer que les procès ruinent ceux qui les gagnent. Chicaneau, payant deux bottes de foin cinq à six mille, livres, n’exagère en rien les dépens d’une procédure long-temps soutenue. C’est l’histoire de Boivin payant douze mille livres de frais pour une redevance de vingt-quatre sous. Quand Louis XIV veut simplifier les plaidoiries et rendre le style uniforme dans toutes les cours et siéges, c’est, comme Racine, l’Intimé qu’il attaque, et sur tous les points la comédie, peinture fidèle des mœurs du temps, donne raison au législateur.

Ce qu’ils avaient fait pour les finances et la justice, Louis XIV et ses ministres le tirent également pour l’armée, le commerce, les colonies. Les régimens, qui jusqu’alors avaient porté les couleurs des colonels, reçurent l’uniforme, Pour fortifier la discipline dans l’armée, on éloigna d’abord les vieilles bandes de la fronde ; les unes furent envoyées au fond de la Hongrie combattre les Turcs, les autres moururent glorieusement avec Beaufort en défendant Candie. Placées sous la main immédiate du roi, les troupes furent habituées à l’unité du commandement ; des ordonnances pleines d’équité et de sagesse réglèrent pour la première fois l’avancement par ancienneté ; pour la première fois aussi la bravoure et le mérite effacèrent sur le champ de bataille la distinction des classes. Le peuple, dans la personne de Fabert, fut élevé à la dignité de maréchal de France, et la noblesse, qui s’entêtait à réclamer pour elle seule le privilège de la bravoure, s’indigna, comme Saint-Simon, de voir que le service était devenu populaire sous la main du roi.

Ainsi tout s’enchaîna dans ce gouvernement puissant. Les écus de Colbert payèrent les soldats de Louvois ; une administration forte à l’intérieur produisit au dehors une diplomatie non moins forte ; les armées, que jusqu’alors on avait