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L’autorité souveraine étant affermie et l’administration centrale organisée, Louis XIV et son gouvernement s’attachèrent, avec une infatigable activité, à porter la réforme dans toutes les branches des services publics. On commença par les finances. En 1661, le budget des recettes était fixé à 84,222,096 livres ; mais cette somme ne figurait en quelque sorte que pour mémoire. Dans cette même année, 31,844,924 livres seulement entrèrent dans les caisses de l’état, tandis que les dépenses s’élevèrent à 53,377,172 livres. Les traitans détournaient une partie des fonds, et ils s’en servirent ensuite pour faire, à un taux exorbitant, des avances au trésor, qu’ils volaient ainsi deux fois. Quelques années suffirent à Colbert pour tout changer. En 1667, il entra au trésor 63,016,826 livres ; les dépenses furent réduites à 32,554,913 livres, et Colbert résolut un problème que personne, après lui, n’a su résoudre : il accrut les revenus publics en diminuant les impôts, et il fit des économies en augmentant les dépenses. Ce fut par l’ordre, la régularité et une sévérité exemplaire contre les malversations et le gaspillage, que ce grand ministre obtint un résultat aussi extraordinaire. La comptabilité du budget fut, pour la première fois, tenue avec une extrême régularité, et pour la première fois aussi celle des villes fut sévèrement contrôlée par l’état. La chambre de justice instituée pour punir les malversations fit rentrer au trésor une somme de 110 millions, et prononça plusieurs condamnations à mort. Le journal d’Olivier d’Ormesson contient, sur les séances de ce tribunal, de curieux détails. La même sévérité attendait les coupables, quel que fût leur rang, et quand par hasard le roi faisait grace, les condamnés, ceux mêmes qui portaient les noms les plus illustres, étaient forcés d’écouter à genoux la lecture des lettres de rémission. Colbert, pour établir ses réformes, eut à lutter contre des obstacles de toute nature, et ce fut surtout dans l’administration des finances qu’il rencontra le plus de difficultés. Il eut à combattre tout à la fois les traitans, qui profitaient pour voler du crédit que donne la fortune et le seul titre de prêteur, — la noblesse et le clergé, qui invoquaient sans cesse leurs privilèges pour se soustraire aux charges de l’état, — enfin Louis XIV, que la passion des grandes choses entraînait sans cesse aux grandes dépenses. Dans la question des emprunts, Colbert, au moment de la guerre de Hollande, fut battu par Louvois. « Voilà donc, disait-il tristement, la voie des emprunts ouverte. Quel moyen restera-t-il désormais d’arrêter le roi dans ses dépenses ? Après les emprunts il faudra les impôts pour les payer, et, si les emprunts n’ont point de bornes, les impôts n’en auront pas non plus. » A dater de ce jour, l’équilibre de nos finances fut rompu, et ce qui s’est passé depuis deux siècles n’a que trop justifié les tristes prévisions de Colbert.

La réforme des lois ne fut ni moins étendue ni moins importante que celle des finances. Une série d’ordonnances, que l’on peut regarder comme le plus grand monument législatif de l’Europe entre le droit romain et le code Napoléon, améliorèrent la procédure civile et criminelle et créèrent la législation des eaux et forêts, de la marine, du commerce et des colonies. Cette fois encore ce fut Colbert qui prit l’initiative. Le 15 mai 1665, il remit au roi un mémoire dans lequel il exposait ses plans, et, pour être sûr d’obtenir par la vanité l’adhésion du monarque, il faisait remonter adroitement jusqu’à lui l’idée première de tous les projets de réforme. Une commission fut nommée : on la composa exclusivement d’hommes pratiques, en écartant avec grand soin, d’une part, les