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détruites coup sur coup, signalèrent les campagnes de cette année et de la suivante. Théodose, fatigué de sa propre résistance, proposa la paix, qui fut conclue à la condition qu’Attila recevrait immédiatement six mille livres pesant d’or comme indemnité de ses frais de guerre, qu’il lui serait payé désormais deux mille livres en tribut annuel, et que le territoire romain serait fermé pour toujours à tous les Huns sans exception.

Venait maintenant une question bien difficile, celle du paiement des sommes promises, car le trésor impérial était à sec : Théodose ne le savait que trop, et Attila non plus ne l’ignorait pas. Bien informé des affaires intérieures de l’empire, il connaissait la misère des provinces, à laquelle il avait d’ailleurs tant contribué, les folles prodigalités d’un prince qui ne réfléchissait jamais, et la rapacité de ses ministres. Il envoya donc à Constantinople un ambassadeur spécial, chargé de hâter la levée de l’impôt au moyen duquel on devait le payer et d’en assurer la remise entre ses mains, et fit choix, pour cette mission, d’un officier nommé Scotta, frère de son principal ministre. Ce fut pour Théodose une humiliation sans pareille que la présence de ce garnisaire barbare, qui semblait menacer d’exproprier l’empereur, si l’on ne pressurait pas ses sujets. L’impôt d’Attila ne souffrant ni retard ni non-valeur, la cour de Byzance recourut au procédé de recouvrement le plus commode et le plus prompt, en le faisant peser uniquement sur les riches, et, en premier lieu, sur les sénateurs ; mais beaucoup de riches se trouvaient ruinés par suite du malheur des temps, et, comme les agens du fisc déployaient une rigueur excessive, le désespoir s’empara des hautes classes de la société : les femmes vendaient leurs parures, les pères le mobilier de leurs maisons ; on en vit qui, à bout de ressources, se pendirent ou se laissèrent mourir de faim. L’excès de la douleur et de la honte aurait pu réveiller l’énergie de ce gouvernement, il ne fit que l’abattre tout-à-fait. Attila, par sa puissance, par son génie, par son esprit diabolique, exerçait sur Théodose une fascination qui le paralysait en face du danger. Il ne savait que maudire le barbare, souhaiter sa ruine, sans oser un dernier effort pour la préparer. Il aimait mieux s’étourdir dans les occupations futiles ou ridicules qui remplissaient sa vie. Quelle résolution virile pouvait-on demander à cette cour, où le porte-épée impérial était un eunuque ? On ne savait y concevoir que des ruses de femme et y pratiquer que des trahisons : il en devait arriver mal à Théodose et à l’empire romain.


AMEDEE THIERRY.