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un rayon de soleil, comment soutiendraient-ils l’éclat du plus grand des dieux ? » Attila vit à qui il avait affaire et laissa Kouridakh tranquille ; mais il fit du reste des tribus un royaume pour l’aîné de ses fils, nommé Ellac. De ce royaume, comme d’un centre d’opérations, il fit une série de guerres, presque toutes heureuses, contre les hordes hunniques de l’Asie. De là il passa chez les nations slaves et teutones, poursuivant ses conquêtes jusqu’aux rivages de la mer Baltique, et soumit tout le nord de l’Europe, excepté la Scandinavie et l’angle occidental compris entre l’Océan, le Rhin et une ligne qui, partant du Rhin supérieur, suivrait à peu près le cours de l’Elbe. Cet empire égalait en étendue l’empire romain, s’il ne le dépassait pas.

Ces grandes choses ne s’accomplirent point sans qu’Attila se fît une multitude d’ennemis, surtout parmi les membres de la tribu royale, qu’on voyait se regimber en toute occasion. Il y en eut qui passèrent en Romanie pour solliciter l’appui de l’empereur ; mais la lâcheté de Théodose conspirait toujours avec la cruauté d’Attila : les malheureux furent rendus pour être suppliciés. Bléda se mêla-t-il à ces complots ? prit-il parti pour les chefs mécontens ? ou bien sa seule présence faisait-elle obstacle à l’ambition d’un frère qui ne voulait point reconnaître d’égal ? On ne le sait pas : l’histoire nous a caché les détails et le nœud d’une affreuse tragédie domestique dont elle ne nous montre que la catastrophe. Attila tua Bléda, « par fraude et embûches, » disent les historiens ; l’un d’eux ajoute qu’il préludait ainsi par un fratricide à l’assassinat du genre humain. Les mœurs des Huns étaient si violentes, que ce crime ne souleva pas l’indignation publique ; quelques tribus attachées particulièrement à Bléda, quelques amis qui voulurent soutenir sa mémoire, se montrèrent seuls et furent aisément comprimés. Vers le même temps, un incident propre à frapper les imaginations vint donner à l’autorité d’Attila et même à son crime une sorte de sanction surnaturelle. Il faut savoir, pour l’intelligence de ceci, que les anciens Scythes, habitans des plaines portiques, avaient pour idole une épée nue enfouie dans la terre, et dont la pointe seule dépassait le sol : divinité bien digne de ces solitudes livrées au droit du plus fort. Les races ayant succédé aux races, les dominations aux dominations sur le territoire de la Scythie, l’épée de Mars (c’est le nom que lui donnaient les Romains) resta oubliée pendant bien des siècles. Un bouvier hun, voyant boiter une de ses génisses, profondément blessée au pied, en rechercha la cause, et, guidé par la trace du sang, il découvrit un fer aigu en saillie parmi les hautes herbes. Creuser le sol à l’entour, retirer l’épée rongée de rouille et la porter au roi, ce fut le premier soin du bouvier. Le roi la reçut avec joie comme un présent du ciel, un signe de la souveraineté qui lui était