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se battre et à conquérir ; maître de la race slave, il retomba de tout le poids de sa puissance sur les peuples de race germanique et réduisit à l’état de vasselage jusqu’aux Gépides et aux Visigoths, ses compatriotes et ses frères.

Tel fut ce fameux empire d’Hermanaric qui valut à son fondateur la gloire d’être comparé au grand Alexandre, dont les Goths avaient entendu parler depuis qu’ils étaient voisins de la Grèce ; mais l’Alexandre de Gothie ne montra ni l’humanité ni la sage politique du roi de Macédoine, qui ménageait si bien les vaincus. Les pratiques d’Hermanaric et des conquérans ostrogoths furent toutes différentes. Un des peuples sujets de leur domination s’avisait-il de remuer, les traitemens les plus cruels le rappelaient bien vite à l’obéissance. Tantôt de grandes croix étaient dressées en nombre égal à celui des membres de la tribu royale qui gouvernait ce peuple, et on les y clouait tous sans miséricorde ; tantôt c’étaient des chevaux fougueux que les Goths chargeaient de leur vengeance, et les femmes elles-mêmes n’échappaient pas à ces affreux supplices. Vers le temps où commence notre récit, un chef des Roxolans, nation vassale des Ostrogoths qui habitait près du Tanaïs, ayant noué des intelligences avec les rois Huns, la trame fut découverte ; mais le coupable eut le temps de se sauver. La colère d’Hermanaric retomba sur la femme de cet homme. Saniehl (c’était son nom) fut liée à quatre chevaux indomptés et mise en pièces. Des frères qu’elle avait jurèrent de la venger ; ils attirèrent Hermanaric dans un guet-apens et le frappèrent de leurs couteaux. Le vieux roi (il avait alors cent dix ans) n’était pas blessé mortellement, mais ses plaies furent lentes à guérir, et elles ne faisaient que se cicatriser lorsqu’un nouvel appel des Roxolans décida les Huns à partir. Tels sont les faits de l’histoire ; mais plus tard, quand le déluge qu’ils avaient provoqué par leurs cruautés impolitiques vint à fondre sur eux, les Goths trouvèrent dans leurs préjugés superstitieux des raisons plus commodes pour justifier leur défaite. Ils racontèrent que des chasseurs huns poursuivant un jour une biche, celle-ci les avait attirés de proche en proche jusqu’au Palus-Méotide, et leur avait révélé l’existence d’un gué à travers ce marais qu’ils avaient cru aussi profond que la mer. Comme un guide attentif et intelligent, la biche partait, s’arrêtait, revenait sur ses pas pour repartir encore, jusqu’à l’instant où, ayant atteint la rive opposée, elle disparut. On devine bien qu’au dire des Goths il n’y avait là rien de réel, mais une apparition pure, une forme fantastique créée par les démons. « C’est ainsi, ajoute Jornandès, Goth lui-même et collecteur un peu trop crédule des traditions de sa patrie, c’est ainsi que les esprits dont les Huns tirent leur origine les conduisirent et les poussèrent à la destruction des nations gothiques. »

Ce fut en l’année 374 que la masse des Huns occidentaux s’ébranlant