Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la même race, plus hideuses encore que celles qu’il connaissait : il ne leur épargna ni les injures, ni les suppositions diaboliques. Les scaldes, historiens poètes des Goths, racontèrent que du temps que leur roi Filimer régnait, des femmes qu’on soupçonnait d’être all-runes, c’est-à-dire sorcières, furent bannies de l’armée et chassées jusqu’au fond de la Scythie ; que là ces femmes maudites rencontrèrent des esprits immondes, errans comme elles dans le désert ; qu’ils se mêlèrent ensemble et que de leurs embrassemens naquit la race féroce des Huns, « espèce d’hommes éclose dans les marais, petite, grêle, affreuse à voir et ne tenant au genre humain que par la faculté de la parole. » Telles étaient les fables que les Goths se plaisaient à répandre sur ces voisins redoutés. Ceux-ci, à ce qu’il paraît, ne s’en fâchaient point. Semblables aux Tartares du XIIIe siècle, leurs proches parens et leurs successeurs, ils laissaient croire volontiers à leur puissance surnaturelle, diabolique ou non, car cette croyance doublait leur force en leur livrant des ennemis déjà vaincus par la frayeur.

Nous venons de dire que les Goths étaient issus de la Scandinavie, et en effet ils n’habitaient l’orient de l’Europe que depuis la fin du IIIe siècle de notre ère. Émigrés de leur patrie par suite de guerres intestines qui tenaient, selon toute apparence, aux luttes religieuses de l’odinisme, ils quittèrent la côte scandinave de conserve avec les Gépides, qui leur servaient d’arrière-garde. Du point de la Baltique où ils débarquèrent, ils se mirent en marche à travers la grande plaine des Slaves, se dirigeant vers le soleil levant, et ils arrivèrent après de longues fatigues et des combats continuels à l’endroit où le Borysthène ou Dniéper se jette dans la mer Noire : ils se divisèrent alors et campèrent par moitié sur chacune des rives, les Gépides ayant dirigé leur marche plus au midi. La partie de la nation gothique cantonnée à l’orient du fleuve prit par suite de cette circonstance le nom d’Ostrogoths, c’est-à-dire Goths orientaux ; l’autre celui de Wisigoths, Goths occidentaux ; ce furent les noyaux de deux états séparés qui grandirent et se développèrent sous des lois et des chefs différens. Les Ostrogoths élurent leurs rois parmi les membres de la famille des Amales, les Visigoths dans celle des Balthes. Intelligens, actifs, ambitieux, les Goths firent des conquêtes, ceux de l’ouest dans la Dacie qu’ils subjuguèrent jusqu’au Danube, ceux de l’est sur les tribus de la race slave. Mêlés bientôt aux affaires de Rome, comme des ennemis redoutables ou des auxiliaires précieux, les Visigoths y consumèrent toute leur activité, tandis que les Ostrogoths s’aguerrissaient dans des luttes sans fin et sans quartier contre les races les plus barbares. De proche en proche, ils soumirent les plaines de la Sarmatie et de la Scythie jusqu’au Tanaïs du côté du nord, jusqu’à la Baltique du côté de l’ouest. Un de leurs rois, Hermanaric, employa son long règne et sa longue vie à