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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

suffisante pour qu’il nous soit encore permis un doute réciproque sur nos paroles ? Tenez, si vous m’en croyez, au lieu d’attendre le passage d’un nouveau convoi à Sèvres, nous allons tout doucement gagner la station de Saint-Cloud par le parc ; les départs sont beaucoup plus fréquens, — à moins cependant que vous ne soyez fatiguée, et que cette course ne vous effraie…

— Non, dit Marie ; cela me plaît ainsi. Partons. — Eh bien ! demanda Marie quand ils furent en route, répondez-moi bien sincèrement, Olivier ; quelle impression vous laissera cette dernière entrevue que nous venons d’avoir ?

— Pourquoi dites-vous dernière ? fit Olivier.

— Parce que nous ne nous verrons plus, répondit-elle, à moins que le hasard ne nous mette passagèrement en face l’un de l’autre.

— Mais si je voulais aider le hasard, ne feriez-vous pas comme moi ?

— À quoi bon ? dit-elle. Êtes-vous donc réellement si avide d’émotions, que vous recherchiez même volontairement celles qui vous laissent une impression de tristesse ? Pensez-vous donc que depuis ce matin nous n’ayons rien perdu l’un et l’autre ? Suis-je pour vous, maintenant que vous me connaissez, ce que j’étais hier, ce que je pouvais vous paraître encore avant notre conversation dans le bois ? Et vous-même, quand votre souvenir reviendra à ma pensée, aura-t-il le charme qu’il pouvait avoir avant cette rencontre ? Je le souhaite, mais je ne l’espère plus. Mieux aurait valu, voyez-vous, que nous fussions restés dans notre incertitude commune. Ah ! comme je regrette de vous avoir accordé ce rendez-vous ! Cependant, ajouta-t-elle avec une gaieté à moitié mélancolique, si vous ne me l’aviez point demandé, c’est peut-être moi qui vous l’aurais proposé.

— Vous avez peut-être raison, Marie ; mais c’est la loi humaine, à laquelle nul ne peut échapper. Si courte qu’elle soit, toute joie doit se payer ici-bas. Depuis dix années, je n’avais pas éprouvé, je vous l’atteste, un sentiment qui se fût emparé de moi aussi complétement que sut le faire l’impression que m’avait laissée notre rencontre de l’autre soir. Depuis ce moment-là jusqu’à celui où nous nous sommes retrouvés ce matin, l’espérance de ce rendez-vous fut une source où j’ai puisé un bonheur si vif, que je ne pense pas l’avoir payé trop cher par le désenchantement qui lui succède. Oui, j’ai eu tort, et vous aussi, et cependant nous avons à nous remercier tous deux, car, vous m’en avez fait l’aveu, ce que j’ai ressenti, vous l’avez éprouvé de même. Ah ! songez-y, Marie, quoi qu’il en soit résulté, nous devons un merci à Dieu de nous avoir permis ces deux jours de pure jouissance que nous seuls pouvions nous procurer l’un à l’autre, car en vain je l’aurais demandée à l’amour d’une autre femme, de même que vous l’eussiez espérée vaine-