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— Et vous l’avez quittée sans regret ?

— Je ne dis pas cela. Peut-on rompre tranquillement une liaison qui a duré plusieurs années ? Je vous le demande à vous-même, qui, ce matin, sous le berceau où nous avons déjeuné, aviez des larmes dans la voix en me parlant de votre dernier amour ?

— Pourquoi revenir là-dessus, Marie ? fit Olivier. Je vous ai expliqué que cette dernière passion dont vous parlez avait été de ma part une folie, une erreur.

— Une erreur qui dure quatre ans ! reprit Marie en secouant la tête.

— Ne parlons plus de cela, je vous en prie, s’écria Olivier.

— Ah ! de tout mon cœur, répondit Marie.

Mais au bout de cinq minutes, pendant lesquelles ils avaient parlé d’eux seulement, sans qu’ils sussent comment l’un et l’autre, la conversation en était revenue au sujet qu’ils s’étaient proposé d’éviter.

— Cette personne… habite-t-elle la France ? avait demandé Olivier.

— Non, dit Marie, il vit ordinairement à Londres.

— C’est comme à Paris, alors, fit Olivier.

Mais, s’étant aperçu que sa compagne semblait attendre une nouvelle question sur le même sujet, il changea brusquement de conversation, en observant attentivement si elle n’en laisserait point paraître quelque dépit. Au contraire, Marie sembla satisfaite d’avoir à parler d’autre chose.

Pendant deux longues heures, et sans qu’aucune autre pensée vînt les en distraire, ils s’entretinrent de leur amour passé, se rappelant tels et tels événemens, telle promenade à la campagne, telle tranquille soirée passée au coin du feu, quand l’hiver pleure aux vitres ; ils échangeaient des pressions de main furtives et brûlantes qui les faisaient tressaillir, des tutoiemens de regards à l’enivrement desquels ils ne résistaient que pour prolonger le charme qu’ils trouvaient dans la lutte. Puis tout à coup, au milieu des douceurs de cet abandon, leurs mains se désunissaient, un nuage passait sur leur front, leurs regards s’évitaient, et leurs lèvres, ouvertes pour un sourire, se fermaient brusquement, comme s’ils eussent craint de laisser échapper quelque parole d’une intimité familière qui ne s’était jamais prononcée au temps de leur ancienne liaison, qui sait même ? un nom qui n’était pas le leur. Il y avait alors entre eux des intermittences d’inquiétude ; ils se regardaient à la dérobée avec un air singulier. On devinait dans leur attitude que chacun de son côté se livrait sur le compte de l’autre à des remarques dont le résultat donnait un démenti à quelque espérance chèrement caressée. Craignant alors que le silence ne vînt trahir leur préoccupation, ils se remettaient à parler de choses étrangères à leurs sentimens ; mais alors ils s’apercevaient qu’ils s’épiaient encore dans ces propos insignifians,