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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

vous dit mon visage ? est-ce encore une figure ou seulement un portrait qui vous rappelle de loin, et votre mémoire aidant, les traits que vous aimiez… au temps où vous n’aviez encore aimé personne ?

— Vous êtes pour moi la même, toujours la même, chère Marie.

Il y eut un moment de silence durant lequel ils échangèrent un long regard en tenant leurs mains unies.

— C’est étrange ! fit Marie, j’avais tant de questions à vous faire, et voilà que je ne puis trouver un mot.

— C’est comme moi, dit Olivier… Est-ce la crainte d’apprendre des choses que je préférerais ignorer ?… Mais je n’ose pas vous interroger… Heureusement que nous avons du temps devant nous.

— Il est midi, interrompit Marie, je suis libre jusqu’à cinq heures.

Et comme elle avait remarqué qu’en l’écoutant son compagnon avait froncé le sourcil, elle ajouta en riant : Mais je puis retarder ma montre. Et, d’un léger coup de pouce, elle recula l’aiguille jusqu’au chifTre qui indiquait dix heures. Olivier la remercia d’un coup d’œil. Le déjeuner étant terminé, ils se levèrent et firent leurs préparatifs de départ. Comme ils allaient quitter le restaurant, Marie, qui était déjà sur le seuil de la porte, se retira brusquement dans la salle. Olivier, s’étant aperçu de ce mouvement, lui en demanda la raison. Elle parut hésiter un moment à lui répondre ; puis, s’étant décidée, elle indiqua du doigt la grande rue de Ville-d’Avray, qui, en ce moment même, était sillonnée de cavalcades et de nombreux équipages. — Je n’y avais point songé, murmura Marie comme si elle se fût parlé à elle-même, c’est aujourd’hui qu’ont lieu les courses de Versailles. Tout ce monde qui passe sur la route s’y rend.

— Eh bien ! fit Olivier, qui ne comprenait pas.

— Eh bien ! répondit Marie avec une hésitation nouvelle… il se pourrait que je fusse reconnue par quelques-unes des personnes qui passent à cheval ou en voiture… Je vous expliquerai… je vous dirai tout, quand nous serons seuls, acheva Marie à voix basse en s’approchant d’Olivier.

— Madame, demanda celui-ci à la servante, ne serait-il point possible de gagner le bois sans que nous prissions par la route ?

— Notre jardin a une porte de sortie sur les étangs, répondit la servante, je vais vous y conduire ; vous trouverez le bois à deux minutes.

Après avoir fait quelques pas, ils étaient arrivés en effet sur la lisière du bois, et s’engageaient dans une étroite allée à pic qui semblait monter dans les nuages. Arrivés à la hauteur de ce chemin un peu fatigant peut-être, le jeune homme et sa compagne s’arrêtèrent un moment et regardèrent autour d’eux, comme s’ils eussent cherché un