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première entrevue quand le hasard vous mettrait en face de moi. Tout cela était bien de l’enfantillage, si vous voulez ; mais j’y trouvais une véritable douceur ; puis tout à coup je pensais avec tristesse que vous ne me reconnaîtriez peut-être pas, ou ne voudriez point me reconnaître.

— Cela est singulier, répondit Marie ; lorsque vous m’avez rencontrée avant-hier au soir, je me trouvais moi-même depuis quelque temps dans une situation d’esprit à peu près semblable à la vôtre ; mais comment aurais-je fait d’ailleurs pour ne point songer à vous ? Depuis mon retour en France, j’ai entendu parler de vous si souvent. On eût dit que toutes les personnes que je fréquentais se donnaient le mot pour prononcer votre nom devant moi, et cependant ce n’était là que le fait du hasard, car aucune d’elles ne connaissait nos relations d’autrefois. — Ah ! mon ami, continua la jeune femme en posant sa main sur celle d’Olivier, j’ai été bien heureuse d’apprendre votre position nouvelle ; mais une vague tristesse se mêlait pourtant à ma joie : j’avais entendu faire sur vous, par des gens qui semblaient vous connaître, des récits qui ne me permettaient pas de conserver l’espérance qui se réalise aujourd’hui.

— Quoi donc ? interrompit Olivier, qu’a-t-on pu vous dire sur mon compte qui ait pu vous autoriser à mettre en doute la joie sincère que j’éprouverais à me retrouver auprès de vous ?

— Ah ! mon Dieu ! fit Marie, votre existence actuelle m’est absolument étrangère, je n’en sais rien que par oui-dire… Mais ce doit être la vie accidentée à laquelle vous aspiriez déjà quand vous étiez jeune. Au milieu de ces agitations de chaque jour, parmi toutes ces liaisons que noue un caprice et qu’un autre délie, je pouvais penser qu’il y aurait, de ma part, presque de la témérité à supposer que vous eussiez encore une place a donner à mon souvenir… Cela est si long, dix ans, et cela est si loin !… Mais c’est égal, j’ai été bien doucement émue quand vous m’avez abordée l’autre soir.

— Je vous ai paru bien changé ? demanda Olivier.

— Je ne l’ai guère remarqué, fit Marie. Dès les premiers mots que vous m’avez dits, j’ai retrouvé la voix qui me charmait jadis, et, pendant la première minute, j’ai certainement dû paraître rajeunie de dix ans. Ah ! mon ami, ajouta-t-elle, il aurait fallu pour bien faire que cette minute se fût prolongée… Je suis plus changée que vous, moi, bien plus assurément.

— Eh bien ! je ne l’ai guère remarqué non plus.

— D’abord, cela se peut, c’était le soir… vous m’avez mal vue… Aussi j’étais bien inquiète tout à l’heure quand j’ai relevé mon voile, et vous bien impatient, n’est-ce pas ? Je m’en suis aperçue… Eh bien ! maintenant, parlez franchement… comment me trouvez-vous ? que