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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

cés d’aller prendre le mot d’ordre de nos intérêts ; nous sommes enfin arrivés sous le pôle froid de la raison ; ce n’est plus guère qu’à la chaleur d’un souvenir que notre cœur peut se réchauffer et pendant quelques minutes battre comme autrefois il battait toujours. Plus d’une fois, j’en suis sûr, Olivier, tu as pensé à Marie. Pendant bien long-temps même nous nous donnions rendez-vous pour nous souvenir d’elle ensemble, car tous les deux nous avions besoin l’un de l’autre pour nous faire un écho commun de nos regrets et de nos maux. Ce soir même, à l’heure où nous voilà, en traversant ces allées où tremble la lune, tu invoques l’image adorée de ta première amie, de celle à qui tu dois tes meilleures inspirations. C’est son fantôme que tu penses voir flotter dans ce brouillard qui monte là-bas, du côté où l’on entend couler la rivière, et c’est aussi sa voix que tu écoutes dans le souffle tiède qui effleure les branches. Ô mon ami, laisse venir à toi le souvenir qui te charme, accueille-le avec tout ce qui te reste d’adoration ; baigne-le de tes larmes les plus sincères. Par une belle nuit comme celle où nous sommes, sous la sérénité de ce beau ciel, dans ce mélodieux silence de la nature recueillie, si ton premier amour se dresse devant toi, livre-toi à tes impressions, sans les analyser ; ne te demande pas à toi-même si ce que tu éprouves est encore de l’amour, ou si ce n’est que de la poésie. Embrasse à pleine joie ta chimère, savoure avec délice l’heure que Dieu te sonne ; repousse tous les doutes, abjure toute rancune ; oublie ce qu’on t’a fait souffrir, oublie les maux que tu as causés toi-même ; ne te souviens que des choses qui font trouver quelquefois que la vie est bonne ; rappelle-toi Marie à ton aise, et que ma présence n’amène pas un pli à ton front. Marie ne t’a point trompé il y a dix ans.

En achevant ses derniers mots, Urbain me tendit la main, et la promptitude avec laquelle je lui donnai la mienne lui fit comprendre la joie que m’avait causée sa révélation.

Pendant tout le reste du chemin, reprit Olivier après avoir observé un instant l’impression que ce récit avait produit sur sa compagne, nous nous entretînmes de vous. Quand je fus rentré chez moi, malgré la fatigue de la course que je venais de faire, je ne pus m’endormir, et toute la nuit je pensai à vous. Le lendemain, à mon réveil, votre souvenir était assis à mon chevet ; il me suivit avec obstination au milieu de mes affaires, au milieu de mes travaux. Enfin, pendant tout le mois qui a suivi mon entretien avec Urbain, vous avez occupé autant de place dans ma vie qu’il y a dix ans. Je ne sais quel pressentiment me disait que je devais vous rencontrer, et que cette rencontre n’était pas éloignée. Dans cette prévision, il m’arrivait quelquefois de préparer ce que j’aurais à vous dire ; je faisais la répétition de ma