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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

lui de venir, je vais lui porter votre lettre, et dans une heure il sera à vos pieds.

— Oh ! non pas cela, répondit-elle. Je serais bien heureuse de le voir, mais il faudrait pour cela qu’il revînt de lui-même.

À l’heure même où nous parlions ainsi de toi, tu te mettais en route pour venir retrouver Marie. Ton accès d’indifférence n’avait pu durer plus de cinq jours. J’étais encore chez ta maîtresse, comme tu montais l’escalier. Marie reconnut ton pas et devint toute rouge et toute pâle.

— C’est lui, me dit-elle ; rentrez vite chez vous : s’il vous voyait sortir de cette chambre, il se douterait peut-être de quelque chose.

— Quoi ! m’écriai-je, vous n’allez point le recevoir ?

— Mais non, me répondit-elle vivement ; il revient, c’est tout ce que je désirais.

— Il souffrira cruellement en ne vous trouvant plus.

— Ah ! s’il souffre réellement, s’est-elle écriée avec la joie sauvage de l’égoïsme satisfait, c’est qu’il m’aime encore. Allez vite et faites ce que je vous disais tout-à-l’heure.

Je n’eus que le temps de sortir. À peine étais-je rentré chez moi que tu frappais à ma porte. Ton premier mot en entrant fut : Marie ? Je te répondis en te faisant lire la lettre qu’elle m’avait donnée ; ce fut alors qu’un premier soupçon traversa ton esprit : je jouai de mon mieux la petite comédie qui était convenue entre moi et ta maîtresse. J’ajoutai même à mon rôle mille nuances qu’elle ne m’avait pas indiquées. J’y semai les réticences, l’air mystérieux, les mots embarrassés, les paroles qui se démentent.

— Tu sais où elle est, me demandas-tu avec un emportement dans lequel bouillonnait déjà un instinct de jalousie.

Après une foule de détours fort peu sincères, j’arrivai à convenir que je connaissais le lieu que Marie avait choisi pour retraite. Quand je refusai de t’y introduire, je crus un moment que tu allais te précipiter sur moi. — Ainsi, repris-tu en voyant que la violence n’aboutirait à rien, c’est maintenant toi seul qui possèdes sa confiance !

— Ne lui as-tu pas ordonné toi-même de se livrer à moi entièrement et de suivre tous les avis que je pourrais lui donner dans l’intérêt de sa sûreté ?

— C’est vrai, m’as-tu répondu ; mais il faut que je la voie absolument. Il le faut ; je t’en supplie, fais-moi accorder un rendez-vous.

Ta douleur paraissait tellement vraie que j’en fus ému, et je te promis de décider Marie à te voir. Tu t’es presque jeté à mes pieds pour me remercier. Quand tu fus parti, j’allai trouver Marie pour lui raconter ce qui s’était passé entre nous.

— Ne me dites rien, fit-elle. Je sais tout ; j’ai écouté à la porte : je ne m’étais pas trompé, il m’aime toujours.